mardi 17 juin 2014

Finish rock'n'roll !

News a posteriori, relatives aux 15 & 16 juin (etapes 50 & 51) :

15 juin, camp 50
Distance du jour : 67 km
Distance totale : 5067 km
Position : N61.027 W46.766
Altitude : environ 100 m
Temps de progression : plus de 9H

16 juin, Fjord Qaleralik, point de récupération bateau
Distance du jour : quelques centaines de mètres...
Distance totale : 5067 km
Position : N61.027 W46.762
Altitude : 0 mètre
Temps de progression : 2H30

Il est 4H30 (matin) lorsque nous montons le camp après une étape de plus de 11 heures de progression quasi ininterrompue. C'est pour nous l'heure du dîner (celle, entre autre, de la soupe et d'un plat lyophilisé). C'est aussi le moment où nous envoyons notre position à Marc, afin qu'il puisse établir et nous renvoyer dans les heures qui suivent un bulletin météo faisant état, avec le plus de précision possible, des directions et vitesses de vent, pour les 3 jours à venir ; à la position donnée pour la prévision du jour 1, à des positions que nous avons les chances d'atteindre pour les jours 2 & 3.

Nous relisons la dernière previ reçu une quinzaine d'heures plus tôt : Marc nous y annonce sans détour qu'il faut tenter de finir dans les 36 heures sous peine de nous voir "engluer" dans une pétole de plusieurs jours. Au moment où nous relisons cette information, le délais ne court plus que sur une petite vingtaine d'heures et inclus même un créneau "mou" entre deux créneaux a priori suffisamment venté.
Dilemme : si nous prenons le temps de nous reposer, nous n'aurons, selon toute vraisemblance, plus aucune marge de manœuvre vis à vis du vent ; et si le tout dernier créneau annoncé devait finalement ne pas fonctionner (c'est un art risqué que d'établir une prévision de vent pour une position très précise, notamment en bordure de calotte où le relief alentour nuance et complexifie le régime de pression et de vent propre à l'inlandsis), nous serions alors coincés, sans vent, à 70 km du point final de l'expé...

Aucun de nous deux ne souhaite prendre ce risque. Et au lieu de nous glisser dans nos sacs de couchage que nous venons tout juste de déballer, nous prenons la décision de boire un café, de demonter le camp et de repartir sur le champ. Nous dormirons une autre fois...

Départ 10 heures, dans une brise fluette d'est. Nous deplions les gros guns (nos Speed 19) et constatons immédiatement que la vitesse du vent à 30 mètres est supérieure à celle constatée au sol et que la pente (même faible) démultiplie le potentiel de traction de la voile. En deux mots, nous sommes clairement surtoilés et avons beaucoup de mal à tenir le cap tant la traction est forte. Dans ces conditions il devient illusoire de pouvoir s'arrêter immédiatement en cas de nécessité (présence de crevasses par exemple). Nous affalons les 19 et gréons les Speed 10.
Malheureusement, la pente en "profite" pour s'adoucir au point de presque disparaître sur les 20 km suivants ; nous nous faisons "enterrer" à plusieurs reprises. Patiemment, nous grignotons du terrain, et retrouvons progressivement davantage de pente. Aux environs du kilomètre 35, nous nous arrêtons net devant une petite succession d'affaissements caractéristiques de ponts de neige recouvrant des crevasses. Les ponts sont encore complètement formés et ont l'air solides. Rapidement, nous considérons que nous prenons davantage de risques dans ces circonstances précises à tenter de zigzaguer entre des ponts de neige que nous découvrons au dernier moment plutôt que de les franchir avec de la vitesse. Nous écartons l'un de l'autre et accelerons la cadence...

Un peu plus en aval, des lacs de fonte d'un magnifique bleu outremer se sont formés dans les cuvettes. L'idée d'y faire trempette ne nous séduit guère et nous espérons pouvoir les contourner sans y sombrer définitivement... Nous sommes arrivés à une altitude critique où tout le manteau neigeux est en train de fondre à grande vitesse. La neige est littéralement "pourrie". Les skis tracent de profond sillons, les pulkas ne glissent plus, il faut utiliser toute la puissance des voiles pour continuer d'avancer dans ce bourbier. Mais là encore, pire serait de devoir tracter les pulkas sans l'aide des ailes ou de devoir monter un camp dans cette fange...
Plus nous avançons, et plus nous avons le sentiment qu'il faut forcer le passage, ne surtout pas s'arrêter. Car les difficultés à se sortir de là par nos propres moyens deviendraient alors vraiment réelles.

Un peu plus bas en aval, apparaissent les premières plaques de glace vive. Le soulagement de retrouver une surface plus portante est vite tempérée par le constat suivant : nous pénétrons dans la zone où le manteau neigeux a déjà en partie disparu, laissant deviner les crevasses sous chaque pont de neige restant. Mais là encore, l'effort à fournir à pied ou même à ski serait considérable pour zigzaguer dans ces lacis de crevasses, et le risque de chute à travers un pont ne serait finalement pas moins grand. Donc, toujours ce sentiment : il faut forcer le passage, même si nous devons prendre certains risques pour cela. Nous zigzaguons autant que possible sur les bandes de glace grises que nous savons saines, et quand il n'y a plus d'autres issues, nous envoyons des loops d'ailes en pleine "fenêtre" (zone où le kite évolue et tracte efficacement) dans le but de franchir les ponts de neige le plus rapidement possible. De temps en temps, nous découvrons au dern
ier
moment une crevasse ouverte (ces dernières ne sont jamais très grosses) qu'il faut alors franchir tant bien que mal, en espérant ne pas mettre les skis dedans et que les pulkas n'y tombent pas...

Plus en aval encore, c'est finalement avec soulagement que nous nous dirigeons vers une cuvette où de l'eau de fonte s'écoule sur de la glace grise. Nous faisons littéralement du ski nautique dans un paysage d'un gris sale entrecoupé de ruissellements et de piscines d'un bleu lagon qui contraste singulièrement avec les couleurs tamisées que nous voyons depuis deux mois. C'est tout à fait déconcertant de progresser dans un tel environnement avec un kite et des pulkas... Mais le seul risque ici serait de s'étaler dans une flaque...

Un peu plus loin, le vent tombe et nous plions un dernière fois nos kites. Nous sommes encore à 8 km du fjord. Nous tractons maintenant nos pulkas à pied ou à ski sur une glace grise, rugueuse et bosselée, tantôt les tirant comme des forcenés lorsqu'elles se bloquent sur une relief ou dans un trous, tantôt courant devant pour ne pas se faire écraser par ces engins pesants et glissants dés que la pente s'accélère à nouveau un peu...

A deux kilomètres et demi du but, nous dépassons l'endroit où nous avions installé le premier camp deux mois plus tôt. Ce que nous appelions alors le collet est en fait une dépression que fait le glacier sur laquelle se meurt une moraine centrale. Cette dernière étant maintenant déneigée, nous nous voyons dans l'obligation d'un portage de notre equipement en huit aller-retours, durant une heure et demi.
Une nouvelle descente un peu raide en rive droite du glacier nous amènent au seul endroit où l'on peut en sortir avant qu'il ne termine sa course au niveau d'un abrupt front glaciaire. Il est 19h30, cela fait plus de 9 h que nous progressons sans pause ou presque, et près de 20 heures que nous progressons sur les 26 dernières heures. Et bien que nous ne soyons plus qu'à 100 mètres d'altitude, nous n'avons pas le courage d'entreprendre les multiples portages nécessaires pour descendre tout notre équipement jusqu'en rive droite du fjord Qaleralik. Nous bivouaquons là, "à la belle étoile", sur les cailloux de la moraine, ne trouvant aucun emplacement pour poser notre tente. Le temps est menaçant, le coin triste et sordide ; nous essuyons 3 petites averses durant la nuit, mais rien qui ne nous empêche vraiment de dormir...

Le 16 au matin, nous enchaînons les aller-retours dans les éboulis de la moraine. A 11 heures, le matériel a totalement était acheminé sur les bords du fjords, à quelques encablures de l'endroit où nous avions quitté ses rives 58 jours plus tôt. Le ciel s'assombrit de nouveau, il pleut déjà quelques gouttes lorsqu'arrive une grosse barque équipée d'un moteur hors-bord de 90 chevaux vient nous récupérer. Nous naviguons à travers fjords jusqu'au village de Narsaq. L'expédition Wings over Greenland II vient de prendre fin...

D'autres messages à suivre dans les jours à venir. Restez à l'écoute !
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Envoyé de mon téléphone Android avec K-9 Mail. Excusez la brièveté.

5 commentaires:

  1. On pouvait bien imaginer que ca ne serait pas simple avec la fonte, les crevasses, la glace vive, mais là ce que vous nous décrivez c'est un peu "ça passe ou ça casse"... Heureusement ca s'est bien passé, on mettra ça sur le compte de vos connaissances du milieu glaciaire et de votre expérience ;-) Merci pour le récit en tous cas !

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  2. Eh ben ! C'est chaud (enfin...) jusqu'au bout votre expé !
    On vous souhaite une bonne nuit de 20h d'affilée :-)

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  3. Eh ben ! on s'entend presque à ce que vous rentriez à la rame sur vos pulkas après votre récit de la dernière journée. Quel panache quand on pense qu'il y en a d'autres qui sont rentrés en hélico !
    Vous l'avez bien mérité votre bouteille de champagne Groenlandais.

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  4. Toutafond jusqu'au bout !

    Impressionnant récit d'engagement.

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  5. Quel panache quand on pense qu'il y en a d'autres qui sont rentrés en hélico !

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