vendredi 29 mars 2013

Snowkite en Norvège


Finse, massif du Hardangerjökulen et du Skarvheimen,

1 - 9 Mars 2013


Depuis 2007, nous allons kiter chaque hiver à Finse, dans le sud de la Norvège. Nos premiers voyages la-bas furent l'occasion de préparer une traversée sud-nord du Groenland en kite. Expédition que nous avons réalisé en mai 2008 : 2250 km parcourus à travers l'inlandsis groenlandais en 31 jours. Mais depuis, nous ne cessons de retourner dans ce coin de Norvège car nous sommes convaincus qu'il s'agit d'un des tous meilleurs "spots" européens pour la pratique du snowkite tel que nous l'envisageons : en mode " free ride randonnée" : un enneigement sûr, un vent quasi permanent, un relief très joueur, ni trop doux ni trop marqué, des espaces immenses et sauvages... Un cocktail explosif pour ceux qui souhaitent faire rimer snowkite avec liberté d'évolution et plaisir des grands espaces...


Mika au sommet sud du Hardangerjökulen, Flysurfer Speed 3 19 Deluxe


Le compte-rendu qui suit relate nos premiers essais sous ailes Flysurfer, tests réalisés en Norvège il y a 15 jours. Et nos premières impressions sur les 2 grandes voiles qui nous accompagneront au Groenland : les Speed 4 10 Deluxe et Speed 3 19 Deluxe...

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Dans le sud de la Norvège, la météo fut "outrageusement" bonne tout le mois de février. Et c'est donc avec un certain fatalisme que nous constatons que les prévis météo annoncent un changement de situation pour la semaine à venir... Normal, en quelques sortes : le beau temps n'a déjà que trop duré...
Et en effet, arrivés à Finse le samedi 1er mars dans la tempête, nous n'avons pas d'autres recours que de patienter et de remettre au lendemain notre première séance de kite made in Norway, cru 2013.

Le dimanche 2 mars, le vent dépasse les 25 noeuds, et en dépit d'une visibilité devenue bonne l'après-midi, il n'est pas raisonnable d'essayer nos toutes nouvelles Speed 4 10 Deluxe dans ces conditions ; On s'en tient donc à l'utilisation des parawings Beringer [voiles dont les suspentes sont directement fixées sur une barre orientée perpendiculairement au bord d'attaque] particulièrement efficaces dans le gros temps... Inventées en Allemagne, ces ailes sont depuis longtemps utilisées en expédition, mais aussi à Finse où se concentrent pas loin de 50% des utilisateurs de parawing...


Cornelius, parawing 8S sur la branche ouest du lac Finsevatnet

D'un aspect assez basique, ces voiles ont pourtant d'excellentes aptitudes dans la plupart des allures et sont très plaisantes à piloter par vent fort : il faut alors cranter comme un damné, dans une position très inclinée, voire quasi "assise"... L'exercice devient vite physique si l'on recherche vitesse et sensations... 



 Mika, parawing 8S sur le lac Finsevatnet


Les lundi 3 et mardi 4, le vent a suffisamment baissé d'intensité pour que nous déballions enfin nos nouveaux "jouets". Mais la luminosité blafarde masque encore trop une couverture neigeuse que nous découvrons très sculptée par le vent ; nous ne nous souvenons pas avoir vu pareilles conditions de neige à l'altitude du lac depuis que nous fréquentons le secteur.

Notre découverte de la Speed 4 10 se fait donc uniquement sur le lac de Finse et quelques pentes dominant ses abords, mais nous ne pouvons pas vraiment passer à la vitesse supérieure et utiliser le potentiel complet de cette voile dernière génération. Depuis, une belle sortie sur un "home spot" (Cervières, Hautes Alpes, France) a permis de mieux appréhender cette aile. 


Mika à l'attaque dans les pentes de Bukkeskinnsbotn, contreforts du Hardangerjökulen (ci-dessus) et sur le lac de Finse (ci-dessous), Speed 4 10 Deluxe




Les 3 jours suivants, le vent bascule à l'Est et au SE, synonyme de conditions plus stables, de très belles journées intensément ensoleillées, mais aussi de vents faibles. Les "gros guns" sont de sortie, les Speed 3 19 déballées, vont pouvoir dévoiler leur plein potentiel.

Le mercredi, la brise erratique du lac finit par nous convaincre de "peauter" les skis pour rejoindre les hauteurs du Hardangerjökulen, petite calotte glaciaire culminant à 1863 m ("petite" à l'échelle des contrées nordiques en général, mais sixième plus vaste glacier de Norvège avec une superficie de 73 km²). Cornelius, plus avisé, monte à peau de phoque jusque sous le sommet pour s'assurer de trouver du vent. Mika pense pouvoir exploiter la brise descendant le glacier de Middalen pour grappiller de la hauteur rapidement et à moindres frais... Erreur d'appréciation !

Il faut dire que nous n'avions encore jamais vu un phénomène aussi marqué que celui-là : le catabatique dévalant la surface du glacier est clairement suffisant pour décoller une voile de 12 ou même 10 m². Mais l'épaisseur de cette lame d'air ne dépasse pas 5 m de hauteur ; au-dessus, l'aile dévente systématiquement ; la brise n'est pas non plus suffisante pour pouvoir caler la voile au ras du sol ; aussi, à chaque virage d'aile, la voile dévente et retombe. Mika s'entête dans un bord calamiteux dans l'espoir de trouver un écoulement catabatique un poil plus soutenu sur la rive ouest du glacier. Il finit par "s'enterrer" pour de bon. Il est à deux doigts d'abandonner la partie et de rentrer, mais à la vue de la voile bleue et blanche de Cornelius sur la crête sommitale du Hardangerjökulen, il se ravise, "repeaute", et grimpe le glacier Middalen.

Il est déjà 16H30 quand il déboule à son tour sur la crête sommitale, dans un flux qui s'est sensiblement renforcé. Cornelius, lui, a déjà filé pour redescendre par le petit glacier au nord-est de la calotte. Le haut de la calotte est gentiment ondulé, le paysage y est grandiose, la vue porte loin sur les plateaux du Hardanger au sud et à l'Est, ainsi que sur les montagnes du Skarvheimen [et même du Jötulheimen (point culminant de la Scandinavie)] au nord. Etonnament, la surface de la calotte est bien meilleure que la neige très compactée et sculptée qui couvre quasiment toutes les étendues plus bas.
Deux ans que nous n'étions plus montés sur le sommet du Hardangerjökulen : l'hiver dernier, la neige y avait été vitrifiée avant notre arrivée et les vents étaient restés trop forts pour pouvoir y accéder...


Lumières de fin de journée sur le sommet du Hardangerjökulen et le glacier Blaisen. Au fond, les plateaux Est du Hardangevidda


Le soleil est déjà bas sur l'horizon, Mika tire quelques bords, puis pique vers le nord-est et dévale le glacier Blaisen vent-debout. Parvenu sur sa partie terminale, là où la pente s'accélère notablement, la voile se décale subitement de 120°, le faisant passer en quelques secondes d'une allure prés serré à vent arrière : signe qu'il vient de quitter la couche d'air affectée par le vent météo et de retrouver le catabatique. Après avoir négocié la sortie un peu raide de Blaisen en vent arrière, il dévente finalement à la sortie du front glaciaire et plie l'aile, calcule son itinéraire de retour pour profiter au mieux de la pente et "torche" les derniers kilomètres en pas du patineur à la tombée de la nuit, des images et des sensations plein la tête.

 Jeudi 7 mars : même météo, toujours pas d'air sur le lac, nous "peautons" et grimpons cette fois sur le versant sud qui domine Finse, en direction des montagnes Satehjellane. 200 mètres de dénivelé au-dessus du hameau, un léger vent d'est rentre. Nous sortons les grosses "couettes" et jouons un moment sur les hauteurs du Sanddalsnuten ; mais dès que nous perdons un peu d'altitude, le souffle devient erratique, voire inexistant. 
 

Cornelius "kiteloope" pour remonter les pentes du Sanddalsnuten , Speed 3 19 Deluxe

Mika, monts Satehjellane, Speed 3 19 Deluxe

Mais trouvant la place tout de même un peu petite alors qu'alentours les ondulations du relief invitent à des itinérances infinies, nous cédons aux sirènes des collines et tentons un déplacement hasardeux vers le nord.

Monts Satehjellane

Une première dépression (un lac) à l'abri du vent est franchie sans traîner ; nous constatons avec grand plaisir que le peu de vitesse prise pour rejoindre le fond du lac suffit à border légèrement la 19 et à lui donner suffisamment de puissance pour traverser la dépression sans avoir besoin de relancer. Fabuleux !

Pendant une bonne heure, nous bataillons dans un vent quasi inexistant, nous appliquant à bien boucler nos loops d'ailes tout en nous maintenant le plus près possible des crêtes morainiques, plongeant de temps à autres dans une courte pente pour traverser un vallonnement ou un petit lac. A ce petit jeu, nous finissons par rejoindre l'abri de Klemsbu, puis le point culminant de Sankt Pål.


Abri de Klemsbu dans les monts Satehjellane. Au fond, le massif du Hardangerjökulen

Nous pensons devoir plier pour rentrer car le vallon de retour est complètement sous le vent. Tout en nous rapprochant de la rupture de pente annonçant la combe, nous nous fixons un point ultime à atteindre sous voile où nous pensons nous retrouver totalement déventé... Mais non ! Le peu de vent dégueulant la pente, combiné à notre trajectoire légèrement descendante, donne suffisamment de puissance à nos ailes pour envisager de continuer. Dès lors, nous faisons en sorte de conserver le maximum d'altitude (pour ne pas prendre le risque de nous "enterrer" dans le vallon) et constatons que l'aile garde de la puissance. Sous le vent du Sanddalsnuten, nous imaginons un instant devoir remonter la pente à contrevent pour gagner un petit col qui nous permettra de basculer sur le versant au vent. Un virement de bord nous fait prendre conscience de l'aspect laborieux de ce choix, et du risque fort de dévente dans des conditions aérologiques déjà limites. Aussi, nous reprenons notre traversée sous le vent et constatons finalement avec bonheur que la brise est ici suffisante pour remonter la pente sous le vent et franchir la crête du Sanddalsnuten plus au sud. Cela fait, nous dévalons un versant glacé en tirant des bords, puis franchissons la ligne haute tension et poursuivons la descente jusqu'à Finse en vent arrière...

Tout au long de cette journée, le comportement de la Speed 3 19 nous a bleuffé ; il est évident pour nous que nous n'aurions pas pu faire l'intégralité de cette boucle avec une aile plus petite : avec parfois très très peu de vent, nous sommes parvenu à progresser lentement en enchainant les loops d'ailes du côté le plus favorable (ce que permet l'ingénieux système de l'Infinity Bar), sans jamais complètement déventer ou "faire des oreilles" (tant que la voile est en mouvement, même à très faible vitesse, elle reste ultra stable ; en sortie de loop, lorsqu'elle ressource, cela est un avantage précieux qui autorise une attention totale à la trajectoire de l'aile sans avoir à se soucier d'un début de risque de fermeture ; en revanche, il est clair qu'il faut en permanence tirer sur les flotteurs des arrières pour donner le diamètre voulu à son loop...) ; et à chaque fois que nous avons pu prendre un poil de vitesse, le gain en puissance a été immédiat et notable, et les loops sont devenus aussitôt inutiles...

Le vendredi 8, le soleil brille toujours, la brise à Finse est quasi inexistante. Nous nous tâtons quant au choix de la destination du jour. Mais en regardant par les fenêtres de notre chalet, un constat brise soudainement notre indécision : 3 kiteurs remontent la pente du glacier Blaisen en direction du Hardangerjökulen.

Cornelius remonte le Glacier Blaisen, massif du Hardangerjökulen

Profitons pour ouvrir ici une parenthèse : il est très rare de voir d'autres kiteurs prendre de l'altitude et quitter le lac ou son voisinage proche. Bien entendu, nous ne sommes pas les seuls ni les premiers à monter sur le Hardangerjökulen. Mais il est toujours étonnant de constater que peu de kiteurs s'aventurent sur les hauteurs autour de Finse...
Certes, Finse n'est pas un spot ultra fréquenté, mais tout de même... En France, et partout ailleurs en Europe, ces pentes seraient ridées en permanence ; ici, ce n'est pas encore vraiment le cas ; une question de culture du kite peut-être : nous, alpins, sommes habitués à rider dans la pente car nous n'avons pas tellement d'alternatives ; les kiteurs Norvégiens ont clairement le choix, et peut-être préfèrent-ils "envoyer des gros tricks" plutôt que de randonner par monts et par vaux. Fin de la parenthèse...


Ce jour, la brise est tout juste suffisante pour autoriser un départ depuis le lac. Nous ne demandons pas notre reste ! Encore une fois, nous allons pouvoir constater que même par vent faible, la Speed 3 19 sait exprimer tout son potentiel : il ne nous faut que quelques minutes et une dizaine de bords (là où il nous en fallait au moins 2 fois plus les années précédentes) pour atteindre l'extrémité orientale de la langue terminale du glacier Blaisen : impression d'une insolente efficacité ! Cette voile a un fond de puissance étonnant : il suffit de parvenir à prendre un minimum de vitesse pour pouvoir la maintenir bordée. Par ailleurs, les bords pour remonter au vent sont francs (l'angle de remontée est élevé).


Cornelius en Speed 3 19 et Ronny dont l'aile est montée sur des lignes de 50 m. Pentes sommitales du Hardangerjökulen

Dans la partie basse de Blaisen, un catabatique annule le vent météo : zone de turbulences. Quelques loops permettent de doubler le dernier des 3 kiteurs repérés depuis notre chalet (des sympathiques Tchèques), enterré un petit moment dans ce secteur à l'aérologie complexe. A peine plus haut, le catabatique renforce au contraire le vent météo et un chasse-neige se met à souffler localement : en 2 virements de bord, nous doublons Venina, la fille du groupe Tchèque et rejoignons son compagnon Pavel arrivé au sommet un peu avant nous.  Dans la foulée, déboule en trombe Ronny Finsaas, le local du coin, avec son foil à poignées montée sur 50 m de ligne.
  
Mika, pentes sommitales du Hardangerjökulen. Au fond, la partie nord-est des plateaux du Hardangervidda

Sommet du Hardangerjökulen (1863 m)


Cornelius en route vers le sommet sud du Hardangerjökulen

Nous filons vers le dôme sud de la calotte, quelques kilomètres plus loin, pour admirer la vue sur les plateaux du Hardangervidda, puis revenons de justesse au sommet principal dans un vent faiblissant. Nous hésitons un instant à tirer un grand bord légèrement descendant vers l'ouest-nord-ouest, en coupant les pentes qui ferment le haut du glacier Middalen. Essai : ça a l'air de fonctionner, mais sans aucune garantie tant le vent devient light. Finalement, nous renonçons et traversons vers le nord-est, 50 m sous le sommet. Là, comme l'avant veille, seule une pellicule d'air froid de quelques mètres d'épaisseur glisse sur la pente de la calotte. Nous nous évertuons à progresser vent de travers, mais sans plus de résultats que 2 jours auparavant. La leçon é été retenue, cette fois nous plions.

Samedi 9 mars, retour des nuages, visibilité médiocre, le vent d'Est reste faible. Nous en profitons pour tester la Speed 3 19 avec 46 m de lignes (au lieu de 21 m). En 2008, lors de notre traversée sud-nord du Groenland, nous avions expérimenté des lignes de 40, 50, 60 et 100 mètres et rapidement adopté les 3 premières longueurs de façon systématique pour nos voiles de taille moyenne et grande. L'intérêt s'était tout de suite avéré évident : une fenêtre de vol plus grande permettant des loops plus larges (plus puissants), moins nombreux, moins près du sol (moins de risques de dévente ou d'accroche sur les sastrugies), moins de virages d'ailes dans le cas de "8" et donc moins de pertes de vitesse de l'aile ; et la possibilité d'accrocher des couches d'air plus rapides à 40, 50, voire 80 m au-dessus de la calotte (la "rugosité" de la surface glaciaire freine l'écoulement des catabatiques au contact du sol)...

Dans ce format longues lignes, la voile semble encore plus stable (si cela est faisable). Elle a nécessairement plus d'inertie. A l'attaque d'un nouveau bord, la voile met un peu plus de temps à se caler, puis ne bouge plus...

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Le soir même, nous grimpons dans le train qui nous ramène à Oslo, mais nos esprits trainent encore au-dessus des pentes du Hardangerjökulen. La semaine fut excellente : nous avons connu toutes les conditions météo possible que peut réserver un séjour en Norvège et eu l'opportunité, à plusieurs reprises, de faire ce que l'on apprécie le plus : grimper sur les sommets et réaliser de belles randonnées. Enfin, et ça n'est pas la moindre des choses, la découverte de nos nouvelles voiles nous laisse entrevoir un excellent potentiel dans le cadre de notre projet à venir...

Photos : Cornelius Strohm & Michael Charavin
Textes : Michael pour WOG.