jeudi 19 juin 2014

Le moment est venu de vous remercier !

Nous tenons particulièrement à vous remercier (proches, amis, connaissances et "inconnus" !), vous qui vous êtes intéressés à cette aventure, avez parcouru ce blog et laissé de très sympathiques messages à notre intention. Nous avons pris durant ces deux mois autant de plaisir à tenter de témoigner de notre quotidien (il y aurait encore beaucoup de chose à dire...) qu'à vous lire lorsque Romain ou Laurent nous retransmettaient vos messages. Comment ne pas l'avouer ? le regard de l'autre est un catalyseur d'énergie bienvenu lorsqu'il faut se "surpasser" (faire ce même voyage totalement "incognito", sans donner ni prendre de nouvelles, serait en fait un tout autre exploit... davantage à l'image de ce que faisaient les grands noms de l'exploration il y a un siècle...).
Si nous sommes humblement parvenus à distiller un peu de rêve et des parfums d'aventure au travers de nos témoignages quotidiens, alors nous vous aurons rendu (espérons-le) la monnaie de la pièce et nous serons parvenus à nos fins, témoigner de cette épopée pour ce qu'elle fut tout simplement : le goût du dépassement de soi, le plaisir futile de l'expérience rare... Merci à vous tous !

Nous étions deux sur la glace. Mais dans l'ombre (rien à voir avec le côté obscur de la Force ;-) œuvrait une toute petite équipe, créée de manière impromptue, de proches et d'amis, qui relayaient nos messages et nous transmettaient les informations utiles et "inutiles" :

- Maestro Laurent Jégu, coordinateur logistique (Laurent est guide et gérant d'une petite agence de voyage en Islande, à la fois homme de terrain et de bureau ; si vous souhaitez visiter l'Islande, il est le bon interlocuteur ! www.aventuresenislande.fr ) et webmaster en chef : a assuré un énorme travail de traduction et de mise en ligne sur les blogs français et anglais de l'expé. Un immense merci et bravo à toi l'ami !

- Romain Moissard, secrétaire de l'asso Wings over Greenland, "facteur" en chef, webmestre en second et coordinateur communication Facebook. Un pilier sur qui on peut compter en toute circonstance !

- Rémi Charavin, coordinateur communication Facebook en chef (combien de "like" à ton actif, frangin ?). Un grand plaisir que tu es rejoins le team. Un premier pied virtuel au Groenland avant, peut-être, une visite bien réelle !?

- Sylvie Boileau, compagne de Mika et agent 008, chargée de nous informer quotidiennement de la progression de l'équipe "concurrente" de Dixie & Eric (dite "equipe des Belges" - probablement parce que le Canada est un bien petit pays ;-). Se lève même la nuit pour connaître la position de son équipe préférée !

- Thomas Roth, fidèle ami de Cornelius, coordinateur cartographie du blog, "routeur géographique" à loccasion et agent 009, chargé de nous tenir informé de l'avancée de l'équipe "concurrente" espagnole (dite "l'équipe Ramon", du prénom du génial inventeur de l'original "vaisseau des glaces"- à voir peut-être dans le 7eme opus de la Guerre des Etoiles...)

- Sans oublier Marc De Keyser, notre très sympathique et attentionné routeur météo (Marc agissait ici dans le cadre de sa profession, voir son site www.weather4expeditions.com), excellent agent double (joke !) car travaillant également pour l'équipe dites des Belges, et grâce à qui nous avons quotidiennement bénéficié d'infos météo et aerologiques claires et détaillées, de conseils de routage avisés, sans lesquelles ce long voyage (en distance) serait aussi un très long voyage dans la durée. Merci pour tout Marc.

Cette réalisation vous appartient, le succès de cette expé est aussi le vôtre. Un immense et très sincère merci à vous six !


Étant les propres financiers de notre voyage, mais nous retrouvant là à la limite de ce que nous étions en mesure d'assumer nous-mêmes, nous avons créé l'association Wings over Greenland dont l'objectif avoué était de récolter quelques fonds supplémentaires.
Laurence & Luc, Hervé, Pascal "Golgoth", Jérôme, Francis, Corinne, Bernard & Jacqueline, Cécile & Pedro, Nolwenn & Pauline, Amélie, Mathiouse, sincèrement merci pour votre soutien et votre contribution. Vos noms sont associés à ce tour de l'inlandsis !

Un tout grand merci également à nos 3 partenaires officiels pour avoir cru en notre projet et suivi notre aventure :

- Roger (SNOWSLED Polar ltd, www.snowsled.com), c'est la seconde fois que nous nous unissons autour d'un long voyage en snowkite ; et c'est à nouveau un parcours sans faute des "pulkas bleues". Peut-être n'imagines tu pas complètement ce que nous faisons endurer à celles-ci ? Nous pensons pouvoir dire que si elles résistent parfaitement au traitement que nous venons de leur infliger, elles résistent probablement à tout. Excellent job, merci pour la fiabilité de ton matériel et pour ton implication dans notre projet [nous étions équipés des pulkas Snowsled "Expedition"] !

- Ramon & Ernst (kites FLYSURFER, www.flysurfer.com), merci d'avoir crû en notre projet. Nous avons pleinement conscience de l'utilisation spécifique que nous avons fait des kites Speed3 19 et Speed4 10, nous savons que votre cœur de clientèle est bien différent de ce que nous sommes et recherchons dans un kite. Mais nous sommes cependant convaincus qu'en chaque kiteur raisonne la fibre de l'aventure lointaine. En associant le nom de votre entreprise à notre aventure, Flysurfer détient simplement, en tant que "constructeur", le record actuel du voyage le plus long jamais réalisé en snowkite !

- Oliv et Joh (magazine CARNETS D'AVENTURES), bien reçu tous vos messages d'encouragement, merci de nous avoir suivi de près et d'avoir relayé l'info sur le site du mag (www.expemag.com) et sur sa page FB. A tout bientôt "à la maison", dans les Hautes-Alpes !
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mardi 17 juin 2014

Finish rock'n'roll !

News a posteriori, relatives aux 15 & 16 juin (etapes 50 & 51) :

15 juin, camp 50
Distance du jour : 67 km
Distance totale : 5067 km
Position : N61.027 W46.766
Altitude : environ 100 m
Temps de progression : plus de 9H

16 juin, Fjord Qaleralik, point de récupération bateau
Distance du jour : quelques centaines de mètres...
Distance totale : 5067 km
Position : N61.027 W46.762
Altitude : 0 mètre
Temps de progression : 2H30

Il est 4H30 (matin) lorsque nous montons le camp après une étape de plus de 11 heures de progression quasi ininterrompue. C'est pour nous l'heure du dîner (celle, entre autre, de la soupe et d'un plat lyophilisé). C'est aussi le moment où nous envoyons notre position à Marc, afin qu'il puisse établir et nous renvoyer dans les heures qui suivent un bulletin météo faisant état, avec le plus de précision possible, des directions et vitesses de vent, pour les 3 jours à venir ; à la position donnée pour la prévision du jour 1, à des positions que nous avons les chances d'atteindre pour les jours 2 & 3.

Nous relisons la dernière previ reçu une quinzaine d'heures plus tôt : Marc nous y annonce sans détour qu'il faut tenter de finir dans les 36 heures sous peine de nous voir "engluer" dans une pétole de plusieurs jours. Au moment où nous relisons cette information, le délais ne court plus que sur une petite vingtaine d'heures et inclus même un créneau "mou" entre deux créneaux a priori suffisamment venté.
Dilemme : si nous prenons le temps de nous reposer, nous n'aurons, selon toute vraisemblance, plus aucune marge de manœuvre vis à vis du vent ; et si le tout dernier créneau annoncé devait finalement ne pas fonctionner (c'est un art risqué que d'établir une prévision de vent pour une position très précise, notamment en bordure de calotte où le relief alentour nuance et complexifie le régime de pression et de vent propre à l'inlandsis), nous serions alors coincés, sans vent, à 70 km du point final de l'expé...

Aucun de nous deux ne souhaite prendre ce risque. Et au lieu de nous glisser dans nos sacs de couchage que nous venons tout juste de déballer, nous prenons la décision de boire un café, de demonter le camp et de repartir sur le champ. Nous dormirons une autre fois...

Départ 10 heures, dans une brise fluette d'est. Nous deplions les gros guns (nos Speed 19) et constatons immédiatement que la vitesse du vent à 30 mètres est supérieure à celle constatée au sol et que la pente (même faible) démultiplie le potentiel de traction de la voile. En deux mots, nous sommes clairement surtoilés et avons beaucoup de mal à tenir le cap tant la traction est forte. Dans ces conditions il devient illusoire de pouvoir s'arrêter immédiatement en cas de nécessité (présence de crevasses par exemple). Nous affalons les 19 et gréons les Speed 10.
Malheureusement, la pente en "profite" pour s'adoucir au point de presque disparaître sur les 20 km suivants ; nous nous faisons "enterrer" à plusieurs reprises. Patiemment, nous grignotons du terrain, et retrouvons progressivement davantage de pente. Aux environs du kilomètre 35, nous nous arrêtons net devant une petite succession d'affaissements caractéristiques de ponts de neige recouvrant des crevasses. Les ponts sont encore complètement formés et ont l'air solides. Rapidement, nous considérons que nous prenons davantage de risques dans ces circonstances précises à tenter de zigzaguer entre des ponts de neige que nous découvrons au dernier moment plutôt que de les franchir avec de la vitesse. Nous écartons l'un de l'autre et accelerons la cadence...

Un peu plus en aval, des lacs de fonte d'un magnifique bleu outremer se sont formés dans les cuvettes. L'idée d'y faire trempette ne nous séduit guère et nous espérons pouvoir les contourner sans y sombrer définitivement... Nous sommes arrivés à une altitude critique où tout le manteau neigeux est en train de fondre à grande vitesse. La neige est littéralement "pourrie". Les skis tracent de profond sillons, les pulkas ne glissent plus, il faut utiliser toute la puissance des voiles pour continuer d'avancer dans ce bourbier. Mais là encore, pire serait de devoir tracter les pulkas sans l'aide des ailes ou de devoir monter un camp dans cette fange...
Plus nous avançons, et plus nous avons le sentiment qu'il faut forcer le passage, ne surtout pas s'arrêter. Car les difficultés à se sortir de là par nos propres moyens deviendraient alors vraiment réelles.

Un peu plus bas en aval, apparaissent les premières plaques de glace vive. Le soulagement de retrouver une surface plus portante est vite tempérée par le constat suivant : nous pénétrons dans la zone où le manteau neigeux a déjà en partie disparu, laissant deviner les crevasses sous chaque pont de neige restant. Mais là encore, l'effort à fournir à pied ou même à ski serait considérable pour zigzaguer dans ces lacis de crevasses, et le risque de chute à travers un pont ne serait finalement pas moins grand. Donc, toujours ce sentiment : il faut forcer le passage, même si nous devons prendre certains risques pour cela. Nous zigzaguons autant que possible sur les bandes de glace grises que nous savons saines, et quand il n'y a plus d'autres issues, nous envoyons des loops d'ailes en pleine "fenêtre" (zone où le kite évolue et tracte efficacement) dans le but de franchir les ponts de neige le plus rapidement possible. De temps en temps, nous découvrons au dern
ier
moment une crevasse ouverte (ces dernières ne sont jamais très grosses) qu'il faut alors franchir tant bien que mal, en espérant ne pas mettre les skis dedans et que les pulkas n'y tombent pas...

Plus en aval encore, c'est finalement avec soulagement que nous nous dirigeons vers une cuvette où de l'eau de fonte s'écoule sur de la glace grise. Nous faisons littéralement du ski nautique dans un paysage d'un gris sale entrecoupé de ruissellements et de piscines d'un bleu lagon qui contraste singulièrement avec les couleurs tamisées que nous voyons depuis deux mois. C'est tout à fait déconcertant de progresser dans un tel environnement avec un kite et des pulkas... Mais le seul risque ici serait de s'étaler dans une flaque...

Un peu plus loin, le vent tombe et nous plions un dernière fois nos kites. Nous sommes encore à 8 km du fjord. Nous tractons maintenant nos pulkas à pied ou à ski sur une glace grise, rugueuse et bosselée, tantôt les tirant comme des forcenés lorsqu'elles se bloquent sur une relief ou dans un trous, tantôt courant devant pour ne pas se faire écraser par ces engins pesants et glissants dés que la pente s'accélère à nouveau un peu...

A deux kilomètres et demi du but, nous dépassons l'endroit où nous avions installé le premier camp deux mois plus tôt. Ce que nous appelions alors le collet est en fait une dépression que fait le glacier sur laquelle se meurt une moraine centrale. Cette dernière étant maintenant déneigée, nous nous voyons dans l'obligation d'un portage de notre equipement en huit aller-retours, durant une heure et demi.
Une nouvelle descente un peu raide en rive droite du glacier nous amènent au seul endroit où l'on peut en sortir avant qu'il ne termine sa course au niveau d'un abrupt front glaciaire. Il est 19h30, cela fait plus de 9 h que nous progressons sans pause ou presque, et près de 20 heures que nous progressons sur les 26 dernières heures. Et bien que nous ne soyons plus qu'à 100 mètres d'altitude, nous n'avons pas le courage d'entreprendre les multiples portages nécessaires pour descendre tout notre équipement jusqu'en rive droite du fjord Qaleralik. Nous bivouaquons là, "à la belle étoile", sur les cailloux de la moraine, ne trouvant aucun emplacement pour poser notre tente. Le temps est menaçant, le coin triste et sordide ; nous essuyons 3 petites averses durant la nuit, mais rien qui ne nous empêche vraiment de dormir...

Le 16 au matin, nous enchaînons les aller-retours dans les éboulis de la moraine. A 11 heures, le matériel a totalement était acheminé sur les bords du fjords, à quelques encablures de l'endroit où nous avions quitté ses rives 58 jours plus tôt. Le ciel s'assombrit de nouveau, il pleut déjà quelques gouttes lorsqu'arrive une grosse barque équipée d'un moteur hors-bord de 90 chevaux vient nous récupérer. Nous naviguons à travers fjords jusqu'au village de Narsaq. L'expédition Wings over Greenland II vient de prendre fin...

D'autres messages à suivre dans les jours à venir. Restez à l'écoute !
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lundi 16 juin 2014

5067 km : expédition Wings over Greenland II terminée avec succès !


Nous avons rejoint (avec l'ensemble de notre matériel) les rives escarpées du fjord Qaleralik ce matin vers 11 heures, 59eme jour d'expédition.

Position : N61.027 W46.762, altitude 0 m

Un total de 5067 km parcourus en 58 jours pleins (le départ avait eu lieu le 19 avril à 13 heures).
Ce qui en fait le plus long voyage (en distance) réalisé à ce jour en snowkite (et très probablement aussi à ski), en autonomie complète.

Un petit bateau est venu nous récupérer. Nous venons tout juste d'arriver au village de Narsaq, prêt pour une bonne douche, quelques bières et un champagne "local" !!

Des détails à venir très rapidement sur le blog concernant les 48 dernières heures, pauvres en sommeil mais riches en actions et émotions...

Nous en profitons pour adresser nos sincères remerciements aux personnes de Narsaq et Narsarsuaq qui nous ont apporté leur aide et soutien : Paul Cohen, Helgi Jonasson (propriétaire de la guesthouse où nous logeons) et Jacky Simoud (transports bateau).

dimanche 15 juin 2014

5000 km, nous comptons...

15 juin camp 49
Distance aujourd'hui : 153 km
Distance totale : 5001 km
Position : 61.6072 N 47.0510 W, alt 1700 m
Temps de progression : 11 h

Nous venions d'installer le campement, et terminions le dîner (à 6 heures du matin !). En lisant une nouvelle fois les prévisions météo nous nous sommes rendus compte que la dernière fenêtre de météo favorable pour regagner la côte avant un moment était... maintenant.

Après 30 minutes de sieste pour Cornelius, et 0 pour Mika, nous décidions de nous élancer pour aller le plus loin possible. Wings Over Greenland fait le kilomètre de plus...

Nous reviendrons sur les détails plus tard.

Cornelius dédie ces 5000 km à ses parents qui l'ont mis sur des skis très jeune, et à son oncle Wolfgang, qui l'a familiarisé aux objets volants - les deux passions au coeur de ce voyage.

samedi 14 juin 2014

En approche...

Nuit du 13 au 14 juin, camp 48
Distance du jour : 118 km
Distance totale : 4849 km
Position : N61.899 W44.228, alt 2260 m
Temps de progression : 8 H

Bon vent ce matin, mais la couverture nuageuse dense et les averses de grésil dégradent fortement les conditions de visibilité. Or, l'état de surface de la neige, regelée et bosselée, ainsi que le risque de trouver des zones crevassées en travers de notre route sur les premiers kilomètres de l'étape, nous incitent à attendre les éclaircies prévues pour la fin de journée.
A 18 h 30, départ sous un ciel très bas, les éclaircies se font toujours attendre, la visibilité reste mauvaise. Nous distinguons à l'est, de temps à autres, le massif Runde Keglefjeld et différents chainons anonymes qui culminent autour des 2100 m d'altitude dans la region des fjords Tingmiarmiut et Mogens Helnesen.
Progressant toujours dans un relief en terrasses, nous nous faisons "enterrés" un moment dans une cuvette et devons ressortir toute la toile (Speed 19) pour parvenir à nous extraire de là...
Puis progressivement, tandis que le manteau neigeux s'adoucit et devient étonnement lisse, un léger catabatique semble vouloir s'associer au vent météo pour dégager les cieux et nous pousser désormais plus franchement.
Repassés en Speed 10, nous retrouvons assez de pression pour tirer des bords francs descendants sous un superbe lever de lune.

Aux environs du kilomètre 90, apparaissent sur nos horizons sud et sud-est, deux nunataks. Celui au sud, en forme de remparts, s'élèvent assez notamment au-dessus de la calotte (2820 m). Nous faisons cap sur le second.
Il est 2h30 du matin lorsque nous posons les voiles dans un jour déjà renaissant. Nous distinguons maintenant une continuité de nunataks s'étageant entre 2000 et 2300 mètres d'altitude, relativement proches (environ 20 km), à l'est de notre position. Nous n'irons pas plus loin dans cette direction.

Demain, nous ferons cap à l'ouest pour contourner les grands glaciers qui dévalent les pentes dans la region nord de Narsarsuaq.

vendredi 13 juin 2014

Chambre avec vue


12 juin, camp 47
Distance aujourd'hui : 174 km
Distance totale : 4730 km
Position : 62.9393 N 43.8304 W, alt 2200 m
Temps de progression : 12 h

Nous avons démarré unpeu au nord de la latitude de Nansen Bugt, lorqu'il a finalement trouvé la terre après avoir dérivé à travers une dense banquise lors de son épique traversée est-ouest. Nous avons certainement croisé ses traces, en virant de bord sous des vents faibles arrière tirés par notre Speed 3 19m2.

Rapidement nous avons vu sur 3 pics très distincts jouant à cache cache au gré des dépressions et terrasses que nous traversons. Il s'agissait très probablement du Treforken ominant la Terre de Thor, le Skoldungen et la terre de Kong Skjolds, hauts d'environ 2150 m.

Nous étions déjà captivés par ce qu'allait nous offrir la traversée de la terre de Kong Frederik VI Kyst ; c'etait sans compter sur ces vues spectaculaires. Puis nous avons eu en toile de fond les Nunataks Lokes qui séparent kes glaciers de Rinfaxe et Guldfaxe, et Skirners Bergs qui s'avance vers la côte est. Nous pouvions observer de nombreux pics englacés, séparés par de gigantesques glaciers ; nous nous sommes alors demandés combien de ces pics ont déjà été escaladés ou skiés.

Ca faisait un moment qu'on n'avait qu'un ciel bleu clair aux effets un peu laiteux, typique des latitudes du grand nord ; nous avions enfin droit à du bleu plus prononcé, marké par des nuages stratosphériques et ses lentilles aux contours nets au dessus des æontagnes côtières, indicateur de vents très soutenus en altitude. Des stratocumulus ont pris place très rapidement, et tout d'un coup la légère breeze s'est intensifiée au point qu'il nous a fallu faire vite pour descendre nos speed 19m2 après environ 80 km. Il faisait doux et le soleil était suffisement puissant pour faire fondre les premiers centimètres de neige... plutôt agréable pour nous après 55 jours de surfaces dures et assez difficiles.

Nous avons donc continué avec les speed 10m2. En traversant le bassin de drainage du glacier Heimdal, nos pouvionc apercevoir de grandes crevasses plus loin sur notre trajectoire. Si elles étaient à priori bien recouvertes de ponts de neige, nous n'avons pas tenté le dible, et les avons contournées, tout en profitant de vues sur les superbes montagnes se trouvant sur notre est. L'avancée était très bonne et efficace. Jusqu'à ce qu'on atteigne le gigantesque bassin sans nom, drainage de la calotte vers le fjord Tingmiarmiut : ses pentes sont très crevassées, comportant même des séracs au milieu, juste au dessus de montagne et de la roche. Nous avons dû modifier notre trajectoire un peu vers l'ouest pour éviter les dangers qui accompagnent ces vues magnifiques. Pour finir, nous avons réussi à ne traverser qu'une petite crevasse au pont de neige apparent, mais néanmoins bien solide.

Le ciel s'est encore assombri, nous ôtant tout contraste sur une surface qi s'est de nouveau durcie. Nous montions le camp après 174 km avec une vue iprenable sur le bassin de drainage du fjord Tingmiarmiut. Encadré par les majestueuses montagnes sur notre droite et notrre gauche, nous pouvons voir la banquise tr`€s dense sur le fjord, les îles de Ingmikortukajik et Uvtorsiutit, et très loin vers l'horizon, la mer, presque noire. Chambre avec vue !

Nous sommes de nouveau plus au sud que la latitude de la pointe sud de l'Islande. De nouveau, salutations Laurent...

mercredi 11 juin 2014

Darth Vader


"Nuit" du 10 au 11 juin, camp 46
Distance du jour : 165 km
Distance totale : 4557 km
Position : N64.403 W42.597, alt 2090 m
Temps de progression : 11 heures

Prononcé "Dark Vador" en français.
Vous savez, le grand méchant dans la saga Star Wars. Celui dont on ne connait pas le visage, toujours dissimulé derrière un masque entièrement noir...
J'avoue aimer me "déguiser" en Darth Vader, chaque jour enfiler mes diverses couches de cagoules intégrales (jusqu'à trois). Pas pour conquérir l'Empire à coup de sabre laser mais pour me protéger le visage de la morsure du froid. Complété par le port d'un casque, dun masque de ski, d'un "tour de cou", et recouvert des capuches de la veste goretex et parfois de la doudoune, seule ma bouche est exposée au contact direct de l'air glacial.

Chaque jour, avant chaque étape , l'habillement est un rite qui nous occupe un certain temps...
Les sous-vêtements : nous les portons pour ainsi dire en permanence et ne les retirons qu'à de rares exceptions, même pour dormir. Et à vrai dire, nous n'en changeons guère ( je porte le même collant salopette depuis le jour 7 de l'expé, soit 45 jours !!).

Sur les sous-vêtements, nous enfilons une veste polaire, une salopette goretex, une veste goretex, une salopette en duvet, une doudoune. Pour protéger les mains, nous avons un assortiment de sous-gants, de gants, de mouffles et de surmouffles en fonction de la température. Ainsi, une "grappe" de gants se retrouve quotidiennement suspendue au plafond de la tente, à l'étape, pour sécher.
Avant chaque départ, nous enfilons nos pieds dans des sacs plastiques, afin de ne pas humidifier chaussettes et chaussons de chaussures. Cela peut sembler dégoûtant et barbare pour nos extrémités, mais c'est en fait le meilleur moyen de s'assurer de la bonne isolation de cette partie du corps extrêmement sensible au froid. Avec ce procédé, nous n'avons pas à changer de paires de chaussettes (j'ai utilisé seulement 2 paires différentes en 52 jours !!).
Un moment un peu délicat est le chaussage des chaussures de ski ; par températures basses, la coque plastique est raide, et le pied met quelques minutes avant de trouver sa place dans le chausson. Une fois les boucles et velcro de la coque verrouillés, nous enfilons une paire de surbottes en néoprène...

Les pieds, avec les mains, sont très sensibles au froid. Le fait de porter une sur-salopette garnie de duvet permet de limiter les déperditions de chaleur au niveau du bassin et des jambes, et donc d'assurer une meilleure irrigation du sang jusqu'aux pieds. Les surbottes en néoprène (Forty Below) ajoute une isolation non négligeable aux chaussures de ski dont les propriétés thermiques sont malheureusement peu élevées.

Une fois le camp démonté, la voile préparée, les pulkas remplies et fermées (tout ça mériterait des chapitres à part !), il reste a enfiler le baudrier, s'assurer du serrage de toutes les boucles, passer un mousqueton dans les passants du pontet, ajuster le serrage des chaussures, s'atteler à la corde de traine des pulkas, chausser les skis, se hooker au "chicken loop" du kite sans oublier la sécurité sur la "cinquième ligne", ajuster le masque de ski, allumer le GPS de poignée, s'assurer que l'on fait bien un "go to" sur le bon point et que l'angle de relèvement est correct, enfiler moufles et surmouffles...

Si on n'est pas malchanceux, la voile ne fera pas "une oreille" au décollage, et on pourra ainsi se consacrer à la tache quotidienne principale : accumuler les kilomètres comme on enfile des perles, pendant une dizaine d'heures...

En ce 11 juin, je me dis parfois qu'il est bientôt temps de ranger ma panoplie de Darth Vader...

Misant une fois encore sur le catabatique nocturne, nous decampons en soirée, vers 22H30. Un peu avant minuit, le soleil passe sous l'horizon, pour réapparaitre une petite heure et demie plus tard. Nos Speed 19 encore éclairées par les ultimes rayons d'un soleil rasant, et alors que nous sommes nous mêmes déjà plongés dans l'ombre, nous faisons cap vers une lune presque plaine, posée au-dessus de l'horizon sud. Magnifique ambiance.

Vers 1 heure du matin, le catabatique "prend des tours", et sur cette neige fraichement regelée, nous sommes largement surtoilés. Nous basculons directement sur nos grosses voiles tempête. Mais après quelques kilomètres, le vent faiblit à nouveau... Nous échangeons les Beringer 8 contre les Speed 10. Du coup, le catabatique en profite pour se renforcer notoirement (plus de 40 km/h) et la progression exige toute notre attention.
A notre sud-est, nous distinguons un sommet enneigé qui doit dominer la baie Koge Bugt, et a quelques kilomètres de nous, les pentes de la calotte s'accentuent et semblent crevassées. Nous lofons sensiblement pour ne pas nous retrouver dans pareil endroit. Ici, la calotte fait de sérieuses ondulations, et deux heures durant, nous franchissons une série de rides, dans une ambiance de brouillard rampant et de chasse-neige soutenu. Hostile.
Aux environs du kilomètre 120, nous découvrons à notre est proche (env 20 km) deux nunataks qui dominent le fjord Gyldenloves caché en contrebas. C'est dans ce secteur - Baie Nansen - que le célèbre explorateur norvégien et ses 4 compagnons touchèrent terre apres avoir dérivé sur les glaces côtières et avant de réaliser la première traversée de l'inlandsis, en 1888. Plus loin encore dans la direction du sud-sud-est, nous distinguons les péninsules montagneuses des Terres d'Odin et de Thor.
Nous entrons dans la région de la Côte du Roi Frederik VI.
Nous sommes désormais à la latitude de l'Islande.

mardi 10 juin 2014

La bulle


09 juin camp 45
Distance aujourd'hui : 143 km
Distance totale : 4392 km
Position: 65.8510 N 41.9093, alt 2000 m
Temps de progression : 7h30

Photo : le soleil, une fois de plus, touche l'horizon. Aujourd'hui nous avons traversé le cercle polaire. A partir de maintenant nous aurons de nouveau de la "nuit", même courte, avec suffisement de luminosité pour kiter pendant les heures les plus fraîches.

Lorsque l'on regarde des photos d'expéditions, on se prend à admirer et à désirer ces moments de libertés et de beauté que l'on y voit. Et si je les regarde ces photos, sorties de leur contexte et bien choisies, je ne peux qu'admettre cette admiration, ainsi que l'opportunité unique que nous avons de réaliser nos rêves.

Ces moments parfaits existent vraiment ; ce sont nos motivations premières d'aller dans ces endroits encore et encore.

Mais souvent, lorsque je repense au moment où les photos sont prises, je me retrouve plongé dans cette "bulle", sorte de prison où je revois toutes ces petites contraintes du moment, ridicules parfois.

N'est-ce pas le jour où nous voulions aller plus loin, mais ne l'avons pas fait ? Pourquoi est-ce que mon partenaire ne m'attend pas, là ; je ne suis pas le rythme? J'ai froid, mais je ne veux pas ralentir la progression en m'arrêtant pour me protéger le visage ; je dois me gratter le nez, mais il est complètement couvert parle masque et les lunettes de ski. Ne serait-ce pas plus confortable d'alléger les chaussures de ski ? Est-ce qu'il ne serait pas temps de changer de voile, avant que ca ne devienne trop difficile de les abaisser ? Pourquoi est-ce que ma capuche glisse toujours de mon casque ? Si je ne comble pas l'espace entre les lunettes de ski et mon masque couvrant le visage je vais attraper des engelures. Pourquoi est-ce la surface n'est-elle pas plus facile ?

Aussi bizarre que ça puisse paraître, il y a toujours quelque chose qui nous empêche de pleinement profiter de l'intense plaisir qu'un tel trip pourrait procurer. Piéger dans une bulle. Heureusement, nous pouvons toujours regarder les photos plus tard...

Après le dîner et quelques heures de repos nous repartons pour profiter encore un peu des super conditions et parcourir de nouveau kilomètres. Après 15 kilomètres de plaisir sous les Beringer 8  grâce aux puissants vents catabatiques du tout début de matinée, le vent faiblit et nous passons à la Speed 4 de 10m². Nous passons rapidement la latitude de la ligne imaginaire entre le sommet de la calotte et le "dôme du sud". Au début la surface était de nouveau couverte par les sastrugies. Après environ 50 kilomètres la surface de la neige s'améliore ; nous nous demandons si cela a à voir avec le fait de laisser derrière le bassin de drainage canalisant les vents catabatiques en direction du glacier Helheim et du fjord Sermilik par une crête. Nord-Nord est cette crête se termine par le "Greenspeed Ridge", point de départ de nombreuses expéditions supportées par hélicoptère pour accéder à la calotte.

Nous somme maintenant assez loin au sud et tard dans la saison ; les températures ont sensiblement augmenté, et nous voyons sur la neige les premiers signes de la fonte en surface estivale.

Sortir du trou !

8 juin, camp 44
Distance du jour : 222 km
Distance totale : 4250 km
Position : N66.853 W39.932, alt 2080 m
Temps de progression : 9 H 30


Sortira-t-on jamais de ce "trou" dans lequel nous nous sommes faits joliment enterrés 4 jours auparavant ? Nous sommes tels des marins encalminés dans un pot-au-noir groenlandais, attendant désespérément un abaissement d'une hypothétique "zone de convergence polaire" pour enfin retoucher un peu de nos alizés à nous, les vents catabatiques... Mais Éole semble bien avoir pris quelques congés et tardent à en rentrer...

Nous nous sommes mis en veille : hier, Marc, notre routeur météo, nous a enfin annoncé "la bascule" et une reprise d'un régime de nord dans la "nuit". Premier réveil à 2 heures : calme plat. Second à 4 heures : toujours rien. A 8 heures, une tendance se dessine enfin, nous voulons y croire et nous préparons. Et en effet, à 10 heures, nous nous élançons enfin dans un vent encore un peu timide, mais suffisant pour "caper" droit au sud-ouest, à 35 km/h, sur une neige lisse et veloutée. Yes, enfin du mouvement !

Nous franchissons le "col" à près de 2900 mètres et entamons une longue descente dans une très large cuvette, le bassin d'alimentation des immenses glaciers Helmein et Fenris qui dévalent jusque dans les eaux du fjord Sermilik, une centaine de kilomètres plus à l'est, dans la région d'Ammassalik. En perdant de l'altitude, le vent se renforce et la surface se dégrade rapidement, c'est le retour en force des sastrugies. Il nous faut réduire la toilure de moitié et désormais piloter nos Speed 10 dans une allure presque arrière, malcommode (jamais contents nous direz-vous...) et exigeant toute notre attention.

A 20 heures, lorsque, fourbus, nous affalons nos voiles, le chasse-neige avoisine les 40 km/h ; le soleil rasant illumine les volutes de neige soufflée d'un or scintillant. Pour la dernière fois probablement [nous sommes encore quelques minutes d'arc au nord du cercle arctique, latitude précise à laquelle le soleil se maintient au-dessus de l'horizon une seule fois par an, au solstice d'été], nous pouvons le voir infléchir sa course au-dessus de l'horizon avant de remonter. À environ 150 km dans l'est-nord-est, on distingue assez nettement la forme reconnaissable du Mont Forel (3380 m), point culminant du massif du Schweizerland...

PS :
- Encore merci pour tous vos sympathiques messages de soutien : Johanna & Oliv, Paul Kerrien, Rémi, Loulou, Aurel, Florian Perrin, Georges Bagouin, Roger Snowsled Polar Ltd (pulks perfectly survive !), Gilles Dreyfus, la maman de XD, Peter Van der Linden, Cathy d'Alixa, Laurent Sénéchal, Phil Deluchat, et d'autres encore... Merci aussi aux "facteurs" Rom & Laurent.
- Speciales salutations à tous nos amis snowkiteurs, en particulier les Hauts-alpins Francis, Thierry, Jean, Valère, Jojo Civel, Rémi, Alex et les autres..., aux "Grenoblois" et Onekiteux, ainsi qu'à tous les kiteurs qui suivent notre aventure...

samedi 7 juin 2014

Que reste-t'il ?


6 juin, camp 43
Distance aujourd'hui : 15 km
Distance totale : 4028 km
Position : 68.3518 N 36.5136 W, alt 2900 m
Temps de progression : 5 h

Que reste-t-il ? 1000 km seulement à parcourir. Il y a 2 jours seulement cela semblait une bagatelle, grâce aux desrniers jours jours couvrant de bonnes distances. Aujourd'hui le Groenland nous parait une fois de plus si grand... aussi grand qu'il ne l'est réellement en fait, et 1000 km, c'est une sacrée distance à parcourir finalement. Nous sommes au ralenti ou même complètement à l'arrêt depuis près de 4 jours maintenant. Aujourd'hui nous avons réussi à parcrourir 15 kilomètres très laborieux, en virant de bords avec la voile Speed 4 10m².

J'imagine que tout le monde se demande maintenant si nous y arriverons, ou pas !

L'autonomie d'une expédition est une science exacte d'une certaine manière : plus la quantité de nourriture emmenée est grande, plus on pleut aller loin. Plus on multiplie l'équipement le plus important, plus on peut compenser pertes et dégâts. Mais d'un autre côté, plus on est chargé, plus on est lent, et plus c'est difficile d'avancer.

Au début nous sentions clairement le poids de notre équipement : environ 3 fois mon poids, et plus de 2 fois celui de Mika ! Pour une force de vent donnée, on choisit normalement la voile en fonction notamment de son propre poids. Dans notre cas il fallait composer avec notre propre poids, et celui des poulkas, comme charge à traîner, et en même temps nous n'avions que notre propre poids comme support pour à la fois retenir le kite d'un côté, et tirer les poulkas de l'autre (cela inclut la redirection des forces, l'absorption des chocs... et aussi faire démarrer et atterrir les voiles).

Vivre avec des stocks de vivres limités, gérer ce stock.... c'est partie intégrante de l'aventure. Chaque perte ou casse change les options, il faut donc faire avec une nouvelle réalité. Nous avons cassé une pelle, et avons pu la réparer avec des points de suture grâce à un fil de fer ; nous avons ensuite perdu un de nos réchauds, et avons dû utiliser celui de rechange ; nous avons également perdu la moitié de notre kit pharmacie. Le chocolat chaud a presque disparu des menus, et avons dû faire avec une fine couche de chocolat en poudre sur tous les autres sacs de nourriture. Mais nous avons quand pu etre à l'abri de problèmes majeurs jusqu'à maintenant.

Qu'est-ce qu'il reste ? De la nourriture pour encore environ 20 jours, du fuel pour eviron 30, une assurance valide jusqu'au 22 juin. Il nous reste suffisemment de sudokus pour quelques jours de pétole au cas où. Les prévisions météo des prochains jours sont un peu plus prometteuses. Espérons aue ce sera le cas.

Photo : Mika en Speed 3 19m², la veille du premier jour de pétole.

vendredi 6 juin 2014

Plaisirs, contraintes & enjeux...

5 mai, camp 43
Distance du jour : 0
Distance totate : 4013 km
Même position que camp 42
Temps de progression : 0

GEB (Georges Bagouin, lecteur du blog) nous (se) posait recemment une question, à mon sens fondamentale :
"A-t-on du plaisir dans une pareille expédition ou y a t il tant de contraintes et de risques à chaque instant que l'on est 'en stress' ou sur ses gardes 24/24 ? "

Éléments de réponse...
Le défi est constitutif de toute expédition. Et de toute evidence, il y a satisfaction à relever le défi. Mais l'objet principal d'une expé peut aussi être ailleurs : dans la découverte de nouveaux horizons, de territoires lointains, souvent esthétiques ; de nouvelles cultures, de rapports humains différents ; dans l'expérimentation d'un mode de vie totalement atypique... Pour exemple, une majorité de mes voyages (certains peuvent prendre le nom de "petites expéditions") ont essentiellement une vocation de découverte géographique. Leur objet principal est clairement de trouver du plaisir dans cette découverte...

Dans le cas de la circumnavigation que nous entreprenons, il en va autrement : le défi est très de toute évidence le moteur de l'expé. Et dans un tel contexte, les sources de satisfaction immédiate ont tendance à se retrouver dissimulées derrière la gestion permanente de contraintes, de certains risques aussi, et plus pernicieusement encore derrière les enjeux.
Même si l'expérience et la connaissance des types de terrain traversés et des techniques employées permettent d'amoindrir (dans une certaine mesure) les contraintes et les risques (rendant ces derniers a priori non vitaux), il n'en reste pas moins qu'ils sont omniprésents et que nous composons sans cesse avec. C'est donc une source de stress diffus, mais de toute évidence très presents.

Les enjeux d'une telle expédition, bien que très subjectifs et certainement très personnels, génèrent également une tension considérable qui va, c'est certain, à l'encontre du plaisir immédiat. Pour mieux comprendre cela et ne pas être tenté de le critiquer injustement, il faut bien se figurer l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons :
Il s'agit d'une "entreprise" encore jamais réalisée jusqu'à cette année (en cela, elle comporte ses propres incertitudes) ; au-delà de la circumnavigation proprement dite, l'objectif est aussi de tenter de réaliser un des plus longs (sinon le plus long) voyages jamais entrepris à ski en totale autonomie ; enfin, nous nous retrouvons, de façon plus ou moins consciente et assumée dans une certaine forme de rivalité, puisque nous sommes 3 équipes différentes à tenter ce challenge en même temps (et cela même si nous le réalisons tous de manière un peu différente).

Les semaines passants, les kilomètres s'accumulant, nos esprits sont naturellement toujours plus tendus vers l'objectif (fixé il y a de cela quelques années déjà), au dépend parfois d'un certain détachement, d'une capacité à apprécier chaque instant ou à prendre du recul sur notre propre situation (mais demandez à un régatier comme François Gabart quelles furent les parts de détachement et de tension lors de sa victoire dans la dernière édition du Vendée Globe...).
Mais une chose est certaine : si l'ampleur du défi nous place plus souvent dans un mode "combattant" que contemplatif, nous continuons tout de même et heureusement à nous emerveiller des lumières uniques, du "chant du vent" sur la glace et de l'apparition même lointaine de montagne inconnues... Et c'est bien ce qu'il restera, profondément ancré en nous, à l'issue de ce voyage "hors du monde".

Écrit un jour de pétole absolue, quelque part sur la façade est de l'inlandsis groenlandais...

mercredi 4 juin 2014

4000 faits, 5000 en point de mire !

Nuit du 3 au 4 juin, camp 42
Distance du jour : 151 km
Distance totale : 4013 km
Position : N68.443 W36.244, alt 2845 m
Temps de progression : 7 heures

Nous nous en doutions un peu... Le team belgo-canadien (Dixie & Eric), passé dans les parages il y a peu, avait ici affiché un score. Pour cela, il fallait du bon vent, mais également une surface "propre" : on ne fait pas 300 km en moins de 14 heures, sinon sur un "billard" !

Mais en ce début d'étape, de billard il n'est toujours pas question : nous poursuivons notre descente au sein d'une vaste dépression, le bassin d'alimentation du glacier Kangerlussuaq, un des grands corridors naturels de la façade orientale de l'inlandsis qui canalisent les vents catabatiques vers la côte. Nous perdons de l'altitude par paliers. Chaque ressaut s'accompagne d'une légère accélération du vent, nous contraignant à skier comme de "vieilles dames", les pieds passablement écartés, pour pouvoir rattraper toute faute de carres dans cette allure rapide où il faut skier skis a plat dans les sastrugies.
Lumières irreelles. A minuit, le soleil, dans notre dos ou presque, s'approche de l'horizon. Des nappes de brouillard se forment ça et là. A l'est, apparaissent de nouveau les silhouettes blanches de sommets lointains, dans le massif du Prince de Galles...
Soudainement, au point où s'achève notre descente, les sastrugies laissent place à une surface de plus en plus unie. A tel point qu'une vingtaine de kilomètres plus loin, nous laissons de francs sillons sur un tapis de poudreuse veloutée, qui semble s'être posée ici à l'abris des vents de l'inlandsis... Nous n'en croyons pas nos yeux : si nous commencions à sérieusement en douter, une telle surface de neige existe bel et bien au Groenland ! Pour parfaire le tableau, une double parhélie particulierement marquée se dessine autour du soleil. Grande voile bien calée, nous filons rapidement sur notre cap dans une allure au grand largue.
Beauté des lieux et des lumières, satisfaction de la trajectoire tendue vers l'objectif.. Seul bémol à l'histoire, le froid particulièrement marqué qui nous dévore les doigts et nous oblige à nous recroqueviller sous des tonnes de capuches...

Au kilomètre 100, à 3 ou 4 heures du matin, le vent s'est encore renforcé ; nous basculons "en 10", persuadés que nous ne sommes encore qu'au début d'une longue étape et que nous avons là un bon coup à jouer... Mais 20 kilomètres plus loin, nous gréons à nouveau nos plus grosses toiles, et 20 kilomètres plus tard, le vent tombe définitivement alors que nous atteignons, à 2845 metres d'altitude, un très vaste col, sorte de selle reliant le point culminant de l'inlandsis au massif du Schweizerland, situé dans notre sud-est. Arrêt anticipé des festivités, le "casse du siecle" n'aura pas lieu !

Nous sommes ici en Terre du Roi Christian IX, à l'ouest des Montagne du Dauphin Frederik, au nord-nord-ouest du massif du Schweizerland et de son point culminant, le Mont Forel.
Nous sommes passés sous la latitude de la ville de Tromso, dans le nord de la Norvège.

NB :
Nous dédions ces 4000 km à Aurelie, amie commune à Cornelius et moi, qui fut à l'origine de notre rencontre et à qui nous devons nos plus belles épopées polaires :-)

Enfin, nous souhaitons féliciter chaleureusement nos "compagnons d'inlandsis" Dixie Dansercoer et Eric MacNair-Landry qui viennent d'achever leur circumnavigation après avoir parcourus 4045 km en 55 jours.
A cette heure, deux équipes continuent de progresser sur les glaces de la calotte : celle de Ramon Larramendi, avec 2098 km au compteur ; et la nôtre, avec maintenant le chiffre de 5000 km en point de mire !

mardi 3 juin 2014

Poussez !


2 juin, camp 41
Distance aujourd'hui : 159 km
Distance totale : 3861 km
Position: 69.6335 N 34.4239 W, alt 2660 m
Temps de progression: 9 h

"Tu me pousses à en faire encore plus..."
En 2005  la communauté des expéditions polaires était excitée par les nouvelles quotidiennes d'une équipe de 3 norvégiens en pleine traversée sud-nord du Groenland (de Narsaq à Qaanaaq).

"... continue de pousser, comme personne..."
En ces temps les personnes extérieures à la communauté encore très restreinte et confidentielle de "kiteurs polaires" considéraient encore le vent comme une possible aide à la progression, et non comme le moteur essentiel d'une expédition.

"... toutes les courses que je gagne..."
Ils remontaient au vent, et annoncaient des distances quotidiennes considérables. Ils ont battu le record de distance de kite (sur terre) en 24h ; ils étaient alors la plus rapide expédition sur la glace de l'Histoire.

"... tu me pousses, alors que je veux que tout s'arrête..."
Un peu plus tard ils ont posté une vidéo sur youtube, apportant de l'élégance, de la lumière et de la vitesse à ce monde de barbes gelées et de visages fatigués.

"... tous mes movements, tous mes pas, tout ce que je fais, c'est parce que tu me pousses à les faire..."
Nous avons dû la regarder cent fois, analysant chaque détail de cette incroyable aventure. Nous avons été témoins de la naissance d'un instant classique.

"... aller encore plus loin, alors que c'est difficile d'avancer..."
La vidéo est toujours trouvable, en voici la version courte.
Il y a un secret : éteignez le son de cette vidéo, et jouez le morceau de Madonna "Push" en regardant cette video, afin de bien en comprendre la force...

"Continuez à pousser !"

Bien le bonjour à Niklas, Trygve et Karl

La météo est de nouveau marquée par le régime catabatique, avec l'anticyclone du Groenland bien en place sur notre ouest. Nous naviguons dans un couloir assez étroit, avec d'un côté (ouest) la pétole due à l'anticyclone, et de l'autre (est) les montagnes les plus escarpées de la bordure du glacier. Avec notre speed 3 19m2 nous sommes montés dans un premier temps à environ 2860 m d'altitude, en faisant de nombreux loops avec les kites, et en traversant l'espèce de crête qui prolonge le sommet de la calotte en direction d'un petit col et des montagnes autour du fjord Gunnbjorn à l'est.
De là nous avons viré de bord au portant dans l'entonnoir qui domine le glacier Kangerdlugssuaq, et qui emmène toute cette glace dans le fjord du même nom.

Marc nous avait prédit des visibilités infinies, et même si de hauts nuages se sont formées, nous pouvions voir des monts enneigés très loin vers l'est, juste avant de monter notre camp après 159km. Ces monts enneigés pouvaient bien être les montagnes Gunnbjorn Fjeld, le point culminant du Groenland, à environ 169km de notre trajectoire.

Nous avons parcouru un sacré distance depuis notre point le plus au nord ! Nous avons passé aujourd'hui la latitude du Cap Nord de l'Europe ; ce soir nous sentons que le soleil est de nouveau plus bas sur l'horizon.

lundi 2 juin 2014

Serait-ce un signe ?

1er juin, camp 40
Distance du jour : 174 km
Distance totale : 3702 km
Position : N70.783 W31.921, alt 2680 m
Temps de progression : 11H30

Entre la côte orientale du Groenland et l'inlandsis, du 74eme au 66eme parallèles, sur une distance d'environ 1400 kilomètres, cours une continuité de massifs montagneux tous plus impressionnants les uns que les autres. Isolée de tout, d'un caractère extrêmement sauvage, méconnue même des Groenlandais, cette région, probablement la plus emblématique du pays, compte quelques joyaux qui répondent entre autres aux noms d'Alpes de Stauning, de Watkins Bjerge (où se trouve le point culminant du pays, à 3693 m), de Schweizerland...

Nous venons de laisser à main gauche la Terre de Charcot, et un peu plus loin à l'est et au sud, les Alpes de Stauning et le Renland. Nous sommes actuellement à la latitude de la Terre de Milne (réputée chez les skieurs pour ses couloirs raides) et du fond du Scoresbysund, le complexe de fjords le plus profond du monde (environ 400 km). Nous sommes également à la latitude de la Terre de Liverpool [petit massif côtier que j'ai fréquenté des mois durant ces dernières années] et tout proche d'Ittoqqortoormiit, village d'environ 450 âmes, le plus nord sur cette côte orientale, distant de 800 km du plus proche hameau de la commune "voisine" de Tasiilaq et de 450 km des côtes de l'Islande.

Après une "nuit glaciale" pour un premier jour de juin, nous quittons notre camp 39 par un vent de secteur NNW assez soutenu. Totalement arrière, mais pas suffisamment fort pour nous autoriser une descente au vent confortable en Beringer, nous louvoyons quelques temps en Speed 10, avant d'enfin pouvoir prendre une allure régulière, propulsés par des loops d'ailes en milieu de "fenêtre". Au centième kilomètre, le vent diminuant encore, on opte pour les " big guns" (les Speed 19), tirant de larges bords descendants dans une lumière de fin de journée aux allures presque "printanières". Un instant, un bel oiseau blanc nous survole, faisant étrangement route au sud. Serait-ce un cygne ?

PS :
- J'en profite pour saluer la sympathique équipe avec qui nous avons réalisé la traversée Intégrale du Liverpool Land il y a 2 ans, j'ai nommé Pascal " Golgoth" Nollet, Malik Rhamani, Alain Knibily, Jean Dietz, Raymond Vidonne, Michel Pincemaille, Seb Escande. Bien à vous les gars !
- Nous sortons du parc national du nord-est du Groenland [plus vaste parc national existant, de la taille de l'Égypte] après y avoir séjourné durant 15 jours et progressé sur plus de 1300 km.
- Nous sommes passés sous la latitude de Jan Mayen, petite île norvégienne dans le nord de l'Atlantique Nord.

dimanche 1 juin 2014

Terre !


31 mai, camp 39
Distance aujourd'hui : 171 km
Distance totale : 3528 km
Position: 72.3340 N 31.6164, alt 2770 m
Temps de progression : 10 heures

Nous avons de nouveau commencé la journée avec la Speed 4 10m2, en naviguant à travers une succession de terrasses et dépressions. Sur notre carte de navigation nous pouvons apercevoir des petites ridules le long des isolignes proches de notre route. La surface était toujours un peu dure. Mais c'est sur quelque chose d'autre que s'est réllement posée notre attention : après 10 km nous pouvions voir sur notre gauche 2 sommets (à environ 135°). A cause des ondulations du terrain ces sommets se montraient et disparaissaient de notre vue pendant un moment. Puis c'est une chaîne entière de montagne qui s'est révélé sous nos yeux.

Nous n'avions pas vue de "terre" depuis plus de 30 jours. Quelle récompense incroyable après ces derniers jours de progressoin très difficile ! D'autant plus que nous avions espéré voir les montagnes bordant la calotte de Peary Land lorsque nous étions tout au nord, ou encore les roches de Dronnig Louise quelques jours auparavant.
Hier nous commencions à nous inquiéter de ne voir aucune de ces montagnes.

Photo : Mika devant les montagnes de la Terre du Roi Christian X.

Nous nous sommes alors demandé combien d'humains ont eu la chance d'admirer la vue de ces montagnes depuis la calotte depuis que la traversée en weazel de Paul Emile Victor a rencontré l'équipe en traineaux de H.R.Katz en 1951 au Nunatak Cecilia. Et combien de personnes sont arrivées jusque là en skis ?

Nous avons bien conscience de la courte distance qui nous sépare de la zone des nunataks (un tout petit peu sur notre est) ; une des préoccupations de notre préparation était justement d'évaluer jusqu'où nous pouvons approcher les bords de la calotte.

""... mais les weazels se faisaient constamment piéger par les ponts de neige au dessus des plus larges crevasses. Nous avons dû les abandonner..."

Mais d'un autre côté, nous avions vraiment envie de voir la terre !

"Nous nous sommes rendu compte que la zone de crevasses aux abords de la calotte s'étend beaucoup plus vers l'ouest que nous le pensions, et jusqu'à une altitude de plus de 2600m. ... une longue barrière de terrasses très chargées de crevasses, des pentes bien glacées et les montagnes tombant vers les nunataks se trouvent à l'est de notre route. A skis cependant nous pouvions traverser la zone sans trop de problème." H.R.Katz 1951.

Nous avions d'abord prévu de rester à 2700m d'altitude, mais nous avons finalement continué à grimper un peu après avoir regardé très attentivement les images satellites que nous avions de cette région, prises en toute fin de saison, pour voir où se trouvent les crevasses (la couverture neigeuse étant très petite en fin de saison). Nous n'avons finalement pas rencontré de crevasses ouvertes ni de ponts de neige visibles.

Lorsque nous avons quitté ces panoramas sublimes, nous avons eu une nouvelle agréable surprise : les ondulations du terrain ont disparu, la surface un peu similaire à une râpe à fromage a laissé place à une surface comparable à une table de billard. Certaines portions étaient même couvertes d'une très fine couche de neige fraîche. C'est un peu ce qu'Eric nous avait dit au sujet des régions à notre sud lors de notre conversation télephone d'il y a quelques jours.

Après une centaine de km le vent a diminué, et nous avons changé de voile : les speed 3 19m2 ont remplacé les speed 4, afin de pouvoir continuer encore plus loin. Les kilomètres ont alors défilé rapidement, nous nous sommes fait bien plaisir avec une progression sans trop d'efforts ; cela nous a fait un peu oublié nos 2 semaines difficiles. C'est après 171 km au total que nous avons monté le camp, un tout petit peu au sud du point culminant de la calotte.

Le rapport d'expédition "Journey accross the Nunataks of Central East Greenland, 1951" par H.R Katz est trouvable sur internet.