Finse,
massif du Hardangerjökulen et du Skarvheimen,
1 - 9 Mars 2013
Depuis
2007, nous allons kiter chaque hiver à Finse, dans le sud de la
Norvège. Nos premiers voyages la-bas furent l'occasion de préparer
une traversée sud-nord du Groenland en kite. Expédition que nous
avons réalisé en mai 2008 : 2250 km parcourus à travers
l'inlandsis groenlandais en 31 jours. Mais depuis, nous ne cessons de
retourner dans ce coin de Norvège car nous sommes convaincus qu'il
s'agit d'un des tous meilleurs "spots" européens pour la
pratique du snowkite tel que nous l'envisageons : en mode " free
ride randonnée" : un enneigement sûr, un vent quasi permanent,
un relief très joueur, ni trop doux ni trop marqué, des espaces
immenses et sauvages... Un cocktail explosif pour ceux qui souhaitent
faire rimer snowkite avec liberté d'évolution et plaisir des grands
espaces...
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Mika
au sommet sud du Hardangerjökulen, Flysurfer Speed 3 19 Deluxe |
Le
compte-rendu qui suit relate nos premiers essais sous ailes Flysurfer, tests réalisés en Norvège il y a 15 jours. Et nos
premières impressions sur les 2 grandes voiles qui nous accompagneront au Groenland : les Speed 4 10
Deluxe et Speed 3 19 Deluxe...
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Dans
le sud de la Norvège, la météo fut "outrageusement"
bonne tout le mois de février. Et c'est donc avec un certain
fatalisme que nous constatons que les prévis météo annoncent un
changement de situation pour la semaine à venir... Normal, en
quelques sortes : le beau temps n'a déjà que trop duré...
Et
en effet, arrivés à Finse le samedi 1er mars dans la tempête, nous
n'avons pas d'autres recours que de patienter et de remettre au
lendemain notre première séance de kite made in Norway, cru 2013.
Le
dimanche 2 mars, le vent dépasse les 25 noeuds, et en dépit d'une
visibilité devenue bonne l'après-midi, il n'est pas raisonnable
d'essayer nos toutes nouvelles Speed 4 10 Deluxe dans ces conditions
; On s'en tient donc à l'utilisation des parawings Beringer [voiles
dont les suspentes sont directement fixées sur une barre orientée
perpendiculairement au bord d'attaque] particulièrement efficaces
dans le gros temps... Inventées en Allemagne, ces ailes sont depuis
longtemps utilisées en expédition, mais aussi à Finse où se
concentrent pas loin de 50% des utilisateurs de parawing...
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Cornelius, parawing 8S sur la branche ouest du lac Finsevatnet |
D'un aspect assez basique, ces voiles ont pourtant d'excellentes aptitudes dans la plupart des allures et sont très plaisantes à piloter par vent fort : il faut alors cranter comme un damné, dans une position très inclinée, voire quasi "assise"... L'exercice devient vite physique si l'on recherche vitesse et sensations...
Mika,
parawing 8S sur le lac Finsevatnet
Les
lundi 3 et mardi 4, le vent a suffisamment baissé d'intensité pour
que nous déballions enfin nos nouveaux "jouets". Mais la
luminosité blafarde masque encore trop une couverture neigeuse que
nous découvrons très sculptée par le vent ; nous ne nous souvenons
pas avoir vu pareilles conditions de neige à l'altitude du lac
depuis que nous fréquentons le secteur.
Notre
découverte de la Speed 4 10 se fait donc uniquement sur le lac de
Finse et quelques pentes dominant ses abords, mais nous ne pouvons
pas vraiment passer à la vitesse supérieure et utiliser le
potentiel complet de cette voile dernière génération. Depuis, une
belle sortie sur un "home spot" (Cervières, Hautes Alpes,
France) a permis de mieux appréhender cette aile.
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Mika
à l'attaque dans les pentes de Bukkeskinnsbotn, contreforts du
Hardangerjökulen (ci-dessus) et sur le lac de Finse (ci-dessous),
Speed 4 10 Deluxe
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Les
3 jours suivants, le vent bascule à l'Est et au SE, synonyme de
conditions plus stables, de très belles journées intensément
ensoleillées, mais aussi de vents faibles. Les "gros guns"
sont de sortie, les Speed 3 19 déballées, vont pouvoir dévoiler
leur plein potentiel.
Le
mercredi, la brise erratique du lac finit par nous convaincre de
"peauter" les skis pour rejoindre les hauteurs du
Hardangerjökulen, petite calotte glaciaire culminant à 1863 m
("petite" à l'échelle des contrées nordiques en général,
mais sixième plus vaste glacier de Norvège avec une superficie de
73 km²). Cornelius, plus avisé, monte à peau de phoque jusque sous
le sommet pour s'assurer de trouver du vent. Mika pense pouvoir
exploiter la brise descendant le glacier de Middalen pour grappiller
de la hauteur rapidement et à moindres frais... Erreur
d'appréciation !
Il
faut dire que nous n'avions encore jamais vu un phénomène aussi
marqué que celui-là : le catabatique dévalant la surface du
glacier est clairement suffisant pour décoller une voile de 12 ou
même 10 m². Mais l'épaisseur de cette lame d'air ne dépasse pas 5
m de hauteur ; au-dessus, l'aile dévente systématiquement ; la
brise n'est pas non plus suffisante pour pouvoir caler la voile au
ras du sol ; aussi, à chaque virage d'aile, la voile dévente et
retombe. Mika s'entête dans un bord calamiteux dans l'espoir de
trouver un écoulement catabatique un poil plus soutenu sur la rive
ouest du glacier. Il finit par "s'enterrer" pour de bon. Il
est à deux doigts d'abandonner la partie et de rentrer, mais à la
vue de la voile bleue et blanche de Cornelius sur la crête sommitale
du Hardangerjökulen, il se ravise, "repeaute", et grimpe
le glacier Middalen.
Il
est déjà 16H30 quand il déboule à son tour sur la crête
sommitale, dans un flux qui s'est sensiblement renforcé. Cornelius,
lui, a déjà filé pour redescendre par le petit glacier au nord-est
de la calotte. Le haut de la calotte est gentiment ondulé, le
paysage y est grandiose, la vue porte loin sur les plateaux du
Hardanger au sud et à l'Est, ainsi que sur les montagnes du
Skarvheimen [et même du Jötulheimen (point culminant de la
Scandinavie)] au nord. Etonnament, la surface de la calotte est bien
meilleure que la neige très compactée et sculptée qui couvre
quasiment toutes les étendues plus bas.
Deux
ans que nous n'étions plus montés sur le sommet du Hardangerjökulen
: l'hiver dernier, la neige y avait été vitrifiée avant notre
arrivée et les vents étaient restés trop forts pour pouvoir y
accéder...
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Lumières
de fin de journée sur le sommet du Hardangerjökulen et le glacier
Blaisen. Au fond, les plateaux Est du Hardangevidda |
Le
soleil est déjà bas sur l'horizon, Mika tire quelques bords, puis
pique vers le nord-est et dévale le glacier Blaisen vent-debout.
Parvenu sur sa partie terminale, là où la pente s'accélère
notablement, la voile se décale subitement de 120°, le faisant
passer en quelques secondes d'une allure prés serré à vent arrière
: signe qu'il vient de quitter la couche d'air affectée par le vent
météo et de retrouver le catabatique. Après avoir négocié la
sortie un peu raide de Blaisen en vent arrière, il dévente
finalement à la sortie du front glaciaire et plie l'aile, calcule
son itinéraire de retour pour profiter au mieux de la pente et
"torche" les derniers kilomètres en pas du patineur à la
tombée de la nuit, des images et des sensations plein la tête.
Jeudi
7 mars : même météo, toujours pas d'air sur le lac, nous
"peautons" et grimpons cette fois sur le versant sud qui
domine Finse, en direction des montagnes Satehjellane. 200 mètres de
dénivelé au-dessus du hameau, un léger vent d'est rentre. Nous
sortons les grosses "couettes" et jouons un moment sur les
hauteurs du Sanddalsnuten ; mais dès que nous perdons un peu
d'altitude, le souffle devient erratique, voire inexistant.
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Cornelius
"kiteloope" pour remonter les pentes du Sanddalsnuten ,
Speed 3 19 Deluxe |
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Mika, monts Satehjellane,
Speed 3 19 Deluxe |
Mais
trouvant la place tout de même un peu petite alors qu'alentours les
ondulations du relief invitent à des itinérances infinies, nous
cédons aux sirènes des collines et tentons un déplacement
hasardeux vers le nord.
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Monts Satehjellane |
Une
première dépression (un lac) à l'abri du vent est franchie sans
traîner ; nous constatons avec grand plaisir que le peu de vitesse
prise pour rejoindre le fond du lac suffit à border légèrement la
19 et à lui donner suffisamment de puissance pour traverser la
dépression sans avoir besoin de relancer. Fabuleux !
Pendant
une bonne heure, nous bataillons dans un vent quasi inexistant, nous
appliquant à bien boucler nos loops d'ailes tout en nous maintenant
le plus près possible des crêtes morainiques, plongeant de temps à
autres dans une courte pente pour traverser un vallonnement ou un
petit lac. A ce petit jeu, nous finissons par rejoindre l'abri de
Klemsbu, puis le point culminant de Sankt Pål.
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Abri
de Klemsbu dans les monts Satehjellane. Au fond, le massif du
Hardangerjökulen |
Nous
pensons devoir plier pour rentrer car le vallon de retour est
complètement sous le vent. Tout en nous rapprochant de la rupture de
pente annonçant la combe, nous nous fixons un point ultime à
atteindre sous voile où nous pensons nous retrouver totalement
déventé... Mais non ! Le peu de vent dégueulant la pente, combiné
à notre trajectoire légèrement descendante, donne suffisamment de
puissance à nos ailes pour envisager de continuer. Dès lors, nous
faisons en sorte de conserver le maximum d'altitude (pour ne pas
prendre le risque de nous "enterrer" dans le vallon) et
constatons que l'aile garde de la puissance. Sous le vent du
Sanddalsnuten, nous imaginons un instant devoir remonter la pente à
contrevent pour gagner un petit col qui nous permettra de basculer
sur le versant au vent. Un virement de bord nous fait prendre
conscience de l'aspect laborieux de ce choix, et du risque fort de
dévente dans des conditions aérologiques déjà limites. Aussi,
nous reprenons notre traversée sous le vent et constatons finalement
avec bonheur que la brise est ici suffisante pour remonter la pente
sous le vent et franchir la crête du Sanddalsnuten plus au sud. Cela
fait, nous dévalons un versant glacé en tirant des bords, puis
franchissons la ligne haute tension et poursuivons la descente
jusqu'à Finse en vent arrière...
Tout
au long de cette journée, le comportement de la Speed 3 19 nous a
bleuffé ; il est évident pour nous que nous n'aurions pas pu faire
l'intégralité de cette boucle avec une aile plus petite : avec
parfois très très peu de vent, nous sommes parvenu à progresser
lentement en enchainant les loops d'ailes du côté le plus favorable
(ce que permet l'ingénieux système de l'Infinity Bar), sans jamais
complètement déventer ou "faire des oreilles" (tant que
la voile est en mouvement, même à très faible vitesse, elle reste
ultra stable ; en sortie de loop, lorsqu'elle ressource, cela est un
avantage précieux qui autorise une attention totale à la
trajectoire de l'aile sans avoir à se soucier d'un début de risque
de fermeture ; en revanche, il est clair qu'il faut en permanence
tirer sur les flotteurs des arrières pour donner le diamètre voulu
à son loop...) ; et à chaque fois que nous avons pu prendre un poil
de vitesse, le gain en puissance a été immédiat et notable, et les
loops sont devenus aussitôt inutiles...
Le
vendredi 8, le soleil brille toujours, la brise à Finse est quasi
inexistante. Nous nous tâtons quant au choix de la destination du
jour. Mais en regardant par les fenêtres de notre chalet, un constat
brise soudainement notre indécision : 3 kiteurs remontent la pente
du glacier Blaisen en direction du Hardangerjökulen.
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Cornelius
remonte le Glacier Blaisen, massif du Hardangerjökulen |
Profitons
pour ouvrir ici une parenthèse : il est très rare de voir d'autres
kiteurs prendre de l'altitude et quitter le lac ou son voisinage
proche. Bien entendu, nous ne sommes pas les seuls ni les premiers à
monter sur le Hardangerjökulen. Mais il est toujours étonnant de
constater que peu de kiteurs s'aventurent sur les hauteurs autour de
Finse...
Certes,
Finse n'est pas un spot ultra fréquenté, mais tout de même... En
France, et partout ailleurs en Europe, ces pentes seraient ridées en
permanence ; ici, ce n'est pas encore vraiment le cas ; une question
de culture du kite peut-être : nous, alpins, sommes habitués à
rider dans la pente car nous n'avons pas tellement d'alternatives ;
les kiteurs Norvégiens ont clairement le choix, et peut-être
préfèrent-ils "envoyer des gros tricks" plutôt que de
randonner par monts et par vaux. Fin de la parenthèse...
Ce
jour, la brise est tout juste suffisante pour autoriser un départ
depuis le lac. Nous ne demandons pas notre reste ! Encore une fois,
nous allons pouvoir constater que même par vent faible, la Speed 3
19 sait exprimer tout son potentiel : il ne nous faut que quelques
minutes et une dizaine de bords (là où il nous en fallait au moins
2 fois plus les années précédentes) pour atteindre l'extrémité
orientale de la langue terminale du glacier Blaisen : impression
d'une insolente efficacité ! Cette voile a un fond de puissance
étonnant : il suffit de parvenir à prendre un minimum de vitesse
pour pouvoir la maintenir bordée. Par ailleurs, les bords pour
remonter au vent sont francs (l'angle de remontée est élevé).
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Cornelius
en Speed 3 19 et Ronny dont l'aile est montée sur des lignes de 50
m. Pentes sommitales du Hardangerjökulen |
Dans
la partie basse de Blaisen, un catabatique annule le vent météo :
zone de turbulences. Quelques loops permettent de doubler le dernier
des 3 kiteurs repérés depuis notre chalet (des sympathiques
Tchèques), enterré un petit moment dans ce secteur à l'aérologie
complexe. A peine plus haut, le catabatique renforce au contraire le
vent météo et un chasse-neige se met à souffler localement : en 2
virements de bord, nous doublons Venina, la fille du groupe Tchèque
et rejoignons son compagnon Pavel arrivé au sommet un peu avant
nous. Dans la foulée, déboule en trombe Ronny Finsaas, le
local du coin, avec son foil à poignées montée sur 50 m de ligne.
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Mika,
pentes sommitales du Hardangerjökulen. Au fond, la partie nord-est
des plateaux du Hardangervidda |
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Sommet du Hardangerjökulen (1863 m) |
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Cornelius
en route vers le sommet sud du Hardangerjökulen
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Nous
filons vers le dôme sud de la calotte, quelques kilomètres plus
loin, pour admirer la vue sur les plateaux du Hardangervidda, puis
revenons de justesse au sommet principal dans un vent faiblissant.
Nous hésitons un instant à tirer un grand bord légèrement
descendant vers l'ouest-nord-ouest, en coupant les pentes qui ferment
le haut du glacier Middalen. Essai : ça a l'air de fonctionner, mais
sans aucune garantie tant le vent devient light. Finalement, nous
renonçons et traversons vers le nord-est, 50 m sous le sommet. Là,
comme l'avant veille, seule une pellicule d'air froid de quelques
mètres d'épaisseur glisse sur la pente de la calotte. Nous nous
évertuons à progresser vent de travers, mais sans plus de résultats
que 2 jours auparavant. La leçon é été retenue, cette fois nous
plions.
Samedi
9 mars, retour des nuages, visibilité médiocre, le vent d'Est reste
faible. Nous en profitons pour tester la Speed 3 19 avec 46 m de
lignes (au lieu de 21 m). En 2008, lors de notre traversée sud-nord
du Groenland, nous avions expérimenté des lignes de 40, 50, 60 et
100 mètres et rapidement adopté les 3 premières longueurs de
façon systématique pour nos voiles de taille moyenne et grande.
L'intérêt s'était tout de suite avéré évident : une fenêtre de
vol plus grande permettant des loops plus larges (plus puissants),
moins nombreux, moins près du sol (moins de risques de dévente
ou d'accroche sur les sastrugies), moins de virages d'ailes dans le
cas de "8" et donc moins de pertes de vitesse de l'aile ;
et la possibilité d'accrocher des couches d'air plus rapides à 40,
50, voire 80 m au-dessus de la calotte (la "rugosité" de
la surface glaciaire freine l'écoulement des catabatiques au contact
du sol)...
Dans
ce format longues lignes, la voile semble encore plus stable (si cela
est faisable). Elle a nécessairement plus d'inertie. A l'attaque
d'un nouveau bord, la voile met un peu plus de temps à se caler,
puis ne bouge plus...
Le
soir même, nous grimpons dans le train qui nous ramène à Oslo,
mais nos esprits trainent encore au-dessus des pentes du
Hardangerjökulen. La semaine fut excellente : nous avons connu
toutes les conditions météo possible que peut réserver un séjour
en Norvège et eu l'opportunité, à plusieurs reprises, de faire ce
que l'on apprécie le plus : grimper sur les sommets et réaliser de
belles randonnées. Enfin, et ça n'est pas la moindre des choses, la
découverte de nos nouvelles voiles nous laisse entrevoir un
excellent potentiel dans le cadre de notre projet à venir...
Photos : Cornelius Strohm & Michael
Charavin
Textes : Michael pour WOG.