mercredi 11 juin 2014

Darth Vader


"Nuit" du 10 au 11 juin, camp 46
Distance du jour : 165 km
Distance totale : 4557 km
Position : N64.403 W42.597, alt 2090 m
Temps de progression : 11 heures

Prononcé "Dark Vador" en français.
Vous savez, le grand méchant dans la saga Star Wars. Celui dont on ne connait pas le visage, toujours dissimulé derrière un masque entièrement noir...
J'avoue aimer me "déguiser" en Darth Vader, chaque jour enfiler mes diverses couches de cagoules intégrales (jusqu'à trois). Pas pour conquérir l'Empire à coup de sabre laser mais pour me protéger le visage de la morsure du froid. Complété par le port d'un casque, dun masque de ski, d'un "tour de cou", et recouvert des capuches de la veste goretex et parfois de la doudoune, seule ma bouche est exposée au contact direct de l'air glacial.

Chaque jour, avant chaque étape , l'habillement est un rite qui nous occupe un certain temps...
Les sous-vêtements : nous les portons pour ainsi dire en permanence et ne les retirons qu'à de rares exceptions, même pour dormir. Et à vrai dire, nous n'en changeons guère ( je porte le même collant salopette depuis le jour 7 de l'expé, soit 45 jours !!).

Sur les sous-vêtements, nous enfilons une veste polaire, une salopette goretex, une veste goretex, une salopette en duvet, une doudoune. Pour protéger les mains, nous avons un assortiment de sous-gants, de gants, de mouffles et de surmouffles en fonction de la température. Ainsi, une "grappe" de gants se retrouve quotidiennement suspendue au plafond de la tente, à l'étape, pour sécher.
Avant chaque départ, nous enfilons nos pieds dans des sacs plastiques, afin de ne pas humidifier chaussettes et chaussons de chaussures. Cela peut sembler dégoûtant et barbare pour nos extrémités, mais c'est en fait le meilleur moyen de s'assurer de la bonne isolation de cette partie du corps extrêmement sensible au froid. Avec ce procédé, nous n'avons pas à changer de paires de chaussettes (j'ai utilisé seulement 2 paires différentes en 52 jours !!).
Un moment un peu délicat est le chaussage des chaussures de ski ; par températures basses, la coque plastique est raide, et le pied met quelques minutes avant de trouver sa place dans le chausson. Une fois les boucles et velcro de la coque verrouillés, nous enfilons une paire de surbottes en néoprène...

Les pieds, avec les mains, sont très sensibles au froid. Le fait de porter une sur-salopette garnie de duvet permet de limiter les déperditions de chaleur au niveau du bassin et des jambes, et donc d'assurer une meilleure irrigation du sang jusqu'aux pieds. Les surbottes en néoprène (Forty Below) ajoute une isolation non négligeable aux chaussures de ski dont les propriétés thermiques sont malheureusement peu élevées.

Une fois le camp démonté, la voile préparée, les pulkas remplies et fermées (tout ça mériterait des chapitres à part !), il reste a enfiler le baudrier, s'assurer du serrage de toutes les boucles, passer un mousqueton dans les passants du pontet, ajuster le serrage des chaussures, s'atteler à la corde de traine des pulkas, chausser les skis, se hooker au "chicken loop" du kite sans oublier la sécurité sur la "cinquième ligne", ajuster le masque de ski, allumer le GPS de poignée, s'assurer que l'on fait bien un "go to" sur le bon point et que l'angle de relèvement est correct, enfiler moufles et surmouffles...

Si on n'est pas malchanceux, la voile ne fera pas "une oreille" au décollage, et on pourra ainsi se consacrer à la tache quotidienne principale : accumuler les kilomètres comme on enfile des perles, pendant une dizaine d'heures...

En ce 11 juin, je me dis parfois qu'il est bientôt temps de ranger ma panoplie de Darth Vader...

Misant une fois encore sur le catabatique nocturne, nous decampons en soirée, vers 22H30. Un peu avant minuit, le soleil passe sous l'horizon, pour réapparaitre une petite heure et demie plus tard. Nos Speed 19 encore éclairées par les ultimes rayons d'un soleil rasant, et alors que nous sommes nous mêmes déjà plongés dans l'ombre, nous faisons cap vers une lune presque plaine, posée au-dessus de l'horizon sud. Magnifique ambiance.

Vers 1 heure du matin, le catabatique "prend des tours", et sur cette neige fraichement regelée, nous sommes largement surtoilés. Nous basculons directement sur nos grosses voiles tempête. Mais après quelques kilomètres, le vent faiblit à nouveau... Nous échangeons les Beringer 8 contre les Speed 10. Du coup, le catabatique en profite pour se renforcer notoirement (plus de 40 km/h) et la progression exige toute notre attention.
A notre sud-est, nous distinguons un sommet enneigé qui doit dominer la baie Koge Bugt, et a quelques kilomètres de nous, les pentes de la calotte s'accentuent et semblent crevassées. Nous lofons sensiblement pour ne pas nous retrouver dans pareil endroit. Ici, la calotte fait de sérieuses ondulations, et deux heures durant, nous franchissons une série de rides, dans une ambiance de brouillard rampant et de chasse-neige soutenu. Hostile.
Aux environs du kilomètre 120, nous découvrons à notre est proche (env 20 km) deux nunataks qui dominent le fjord Gyldenloves caché en contrebas. C'est dans ce secteur - Baie Nansen - que le célèbre explorateur norvégien et ses 4 compagnons touchèrent terre apres avoir dérivé sur les glaces côtières et avant de réaliser la première traversée de l'inlandsis, en 1888. Plus loin encore dans la direction du sud-sud-est, nous distinguons les péninsules montagneuses des Terres d'Odin et de Thor.
Nous entrons dans la région de la Côte du Roi Frederik VI.
Nous sommes désormais à la latitude de l'Islande.

6 commentaires:

  1. Jeune Jedi, lorsque regagné ta maison tu auras, laver tes chaussettes tu devras... :-)
    C'est super de vous voir avancer comme cela. Courage pour la fin!

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  2. Vous avez largement dépassé le nombre d'épisode de la serie avec vos 53 jours, mais comme pour la saga, on attend avec impatience le dernier épisode "le retour des Jedis" !

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  3. Et que la force soit avec vous, mais pas son côté obscur.

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  4. Intéressant et instructif la partie habillement ! Ca faisait aussi partie de mes nombreuses questions (à quand le prochain trip VTT BUL ensemble pour que tu nous contes tout ça au bivouac ? ;-)), surtout la gestion des extrémités ! Les miennes - froides en permanence (sauf peut-être en ces jours de canicule...) - ne parviennent en effet pas à se figurer comment les vôtres survivent au traitement que vous leur infligez quotidiennement ! :-)
    Bises et ramenez des belles photos des Jedis sur la calotte !

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  5. Oui mais quand même: des Jedis dans le même collant depuis 45 jours, ça casse un peu le mythe! ;-)

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  6. @Sylvie Ne sous estime pas le pouvoir de la Force...
    et ses vertus anti-transpirantes.

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